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« Je vote RN pour ma fille » déclare Sabrina, une habitante de Beaucaire vivant dans la précarité. Comment en sommes-nous arrivé là ? Le département du Gard est devenu un fief du Rassemblement national. Beaucaire est un des trois lieux dans lesquels Vincent Jarousseau s’est implanté depuis dix ans. Les deux autres villes sont Hayange, en Moselle, et Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais. Ce long séjour dans ces trois espaces de vie, avec des échappées à Paris ou à Denain, est détaillé par le menu dans son dernier livre « Dans les âmes et dans les urnes. Dix ans à la rencontre de la France qui vote RN » Editions Les Arènes.
L’investissement personnel et la qualité du travail de Vincent Jarousseau sont bien connus dans le milieu de l’éducation populaire dans lequel il intervient régulièrement. Il a grandi dans la banlieue de Nantes, entre un père peintre en bâtiment et un mère « au foyer ». Etudiant en histoire de l’art, il s’engage à gauche et milite au sein du conseil municipal de Paris à partir de 2001. Photographe amateur passionné devenu professionnel reconnu internationalement, il scrute avec empathie le monde populaire qui disparaît des scènes politiques, médiatiques et intellectuelles.

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Critique intransigeant des thèses d’extrême-droite, il s’interroge sur leur impact dans les classes populaires. Les titres de ses œuvres sont parlants : « L'Illusion nationale : deux ans d'enquête dans les villes FN » (en forme de roman-photo, avec Valérie Igounet), « Les Racines de la colère : deux ans d'enquête dans une France qui n'est pas en marche » avec Eddy Vaccaro et « Les Femmes du lien : la vraie vie des travailleuses essentielles » avec Thierry Chavant . Trois ouvrages publiés par les éditions Les Arènes.

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Vincent Jarousseau tente de « relier les votes et les vies ». Il décrit le déclin de la fierté ouvrière, l’aspiration plus que jamais présente à vivre dignement de son travail, la croissante précarisation des femmes (très présentes parmi les Gilets Jaunes, une affirmation civique peu relevée). Vincent Jarousseau a montré l’intérêt de la BD photographique pour documenter la colère des gilets jaunes. Ce grand mouvement populaire, qui reste porteur d’actions, fait l’objet des pages les plus frappantes : « Personne ne se connaît vraiment, mais c’est comme si on était de vieux amis » déclare Michaël, de Denain. D’autres moments nationaux sont mis en relation avec la vie locale : les manifestations contre la réforme des retraite, la gestion erratique de l’épidémie de Covid…
Dans son livre Vincent Jarousseau continue d’arpenter Hayange, Beaucaire et Hénin-Beaumont, comme il le fait depuis 2014, date de parution de son roman-photo. Au fil de la vie quotidienne, installé dans des cafés ou au coin de la rue, il écoute. Les gens parlent, exposent leurs espoirs et désespoirs, leurs aspirations à un avenir commun parfois contradictoire avec des préjugés raciaux relevant plus de stéréotypes que des doctrines du XIX° siècle. Des contradictions en témoignent, comme celle de Séverine, mariée à un Ivoirien mais qui vote RN. Ils vivent à Fourmies, haut lieu de la mémoire ouvrière.

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Vincent Jarousseau nous donne à voir les gens ordinaires, dont nous sommes toutes et tous car plus rien n’est sûr aujourd’hui. S’il évoque les « cassos », les plus tristes victimes, il décrit surtout au fil des rencontres « Ceux qui restent » selon le livre de Benoit Coquard, l’aventure (ou l’absence d’aventure » relatée par Nicolas Mathieu dans « Leurs enfants après eux », les deux clans décrit par David Goodhart « ceux de quelque part » et « ceux de nulle part », le peuple dans les œuvres de Gérard Noiriel… Les ouvriers et les employés qui furent la base du grand bloc historique qui pourrait, qui peut toujours, allié aux classes moyennes de plus en plus en difficulté, construire une grande politique sociale. Pour contrer le constat désolé de Vincent Jarousseau, compagnon de « ceux que la gauche aurait du défendre et qu’elle ne défendait plus ». Notre défi le plus actuel...