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Billet de blog 15 septembre 2025

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Dans les pas de Giono le montagnard

Après la parution l’an passé d’un inédit Voyage à pied dans la Haute-Drôme, la revue L’Alpe rappelle que l’auteur d’Un Roi sans divertissement et Batailles dans la montagne a aussi puisé son inspiration au-delà de la Provence de carte postale à laquelle on le cantonne trop souvent. Un article de Philippe Brenot, journaliste.

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Illustration 1

« Ai fait environ 170 km à pied à travers la haute Drôme. Ai écrit au jour le jour les notes de ces étapes. » Ainsi se clôt, le 27 juillet 1939, le Journal dont Jean Giono ne reprendra l’écriture qu’en 1942, sous l’Occupation. Intitulé "Voyage à pied dans la Haute-Drôme. Notes pour Les Grands Chemins", il republié par les Editions des Busclats. Parti de La Motte-Chalancon et associant l’autocar à la marche, Jean Giono rayonne une semaine durant à la découverte d’un terroir de moyenne montagne qu’il ne connaît pas. Parfois, c’est un nom qui l’attire : Saint-Nazaire-le-Désert, « le bien nommé, puisque c’est seulement une maison à un carrefour de route », ou plus loin les gorges de Trente-Pas. Alors âgé de 44 ans, l’écrivain prend des notes sur les paysages, les habitants, les villages, les façons de parler et les us et coutumes des lieux, à la rencontre des décors et des personnages appelés à fournir la matière des Grands Chemins, magnifique drame de l’errance et de l’amitié qui paraîtra finalement en 1951.

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Giono, Scénographie, Pascal Rodriguez, Octobre 2019 © François Deladerrière, Mucem

Il serait toutefois vain de vouloir établir des correspondances avec ces feuillets dont le principal intérêt est de nous permettre de marcher dans les pas de l’aède de Manosque, de fureter avec lui, le nez au vent et les sens aux aguets, dormant tantôt à l’hôtel, tantôt à la belle étoile. Ces pages ont pour caractéristique d’être séparées en deux colonnes distinctes : d’un côté une suite de descriptions « pas composée », et de l’autre de brèves « notations de son, de couleur et d’odeur ». C’est ce que l’auteur l’explique rétrospectivement, en 1962, dans un texte visant à présenter une exposition des « peintres témoins de leur temps » au musée Galliera, sur le thème « Routes et chemins ».

Giono écrit cela de mémoire, car entre temps son cahier lui a été confisqué par les autorités de Vichy. Farouche militant pacifiste depuis le profond traumatisme que fut pour lui l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, et un temps emprisonné pour cette raison en septembre 1939, l’écrivain est ensuite suspecté d’avoir fréquenté cet été là un improbable repaire d’activistes, localisé dans le presbytère de Landry, petit village de Savoie. Les charges qui pèsent sur lui : « présomptions et indices suffisants de détention d’écrits de nature à nuire à l’intérêt national ». Tout cela parce que son nom figurait parmi certains papiers saisis lors d’une perquisition. Il produit alors son carnet comme l’une des pièces à conviction visant à prouver qu’il a passé les semaines précédant la Seconde Guerre mondiale « dans la Drôme et dans l’Isère et à Manosque ». Jamais rendu à son propriétaire, ce manuscrit dormi plus de 80 ans dans un carton des Archives nationales, oublié parmi un empilement de dossier judiciaires, avant de resurgir comme par miracle.

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La défense de Giono nous indique que cet été-là il n’est pas seulement allé chercher l’inspiration dans cette région préalpine des Baronnies provençales. En août 1939, il a aussi passé du temps en famille en Isère, plus précisément dans le Trièves, petite région limitrophe de la Drôme où l’écrivain, aux origines piémontaises par son père, avait ses habitudes. Dans ses écrits, le Trièves apparaît notamment dans Faust au village (1949) et ce sombre chef-d’œuvre qu’est Un roi sans divertissement (1947). C’est ce que rappelle la revue l’Alpe, dont la dernière parution est consacrée à l’écrivain. Son directeur éditorial, Jean Guibal, établit également une correspondance troublante entre l’évènement central de Batailles dans la montagne (1937), roman alpin empreint de fantastique où l’effondrement d’un glacier provoque le chaos, et deux catastrophes récentes : la coulée de boue, de roches et d’eau qui a emporté en mai dernier une partie le village de Blatten, dans le Valais suisse, et la spectaculaire destruction du hameau de la Bérarde, l’an passé dans le massif des Écrins. Qu’en aurait pensé l’écrivain, qui sur la couverture de ce numéro semble nous toiser, une fine tige herbe glissée entre les lèvres ? Comme une façon d’affirmer que, cinq ans après la grande exposition qui lui fut consacrée au Mucem de Marseille, ses livres résonnent toujours en nous.

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