Stefan Zweig face à l’uniformisation du monde

Une des analyses les plus perspicaces de la mondialisation et de l’arasement des diversités culturelles date de 1925. Elle est due à l’historien et romancier viennois Stefan Zweig. Né en 1881 dans une famille juive originaire de Moravie, il fut un membre éminent de l’intelligentsia de l’empire d’Autriche-Hongrie. Il est l’auteur de nombreux romans, pièces de théâtre et essais, dont plusieurs sont réédités de nos jours. Son autobiographie « Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen » est rédigée en 1942 alors qu’il est réfugié au Brésil où il se suicidera. Un de ses meilleurs articles « L’uniformisation du monde », paru en février 1925, a été réédité par les éditions Allia. La mondialisation est anticipée de façon étonnante dans ce texte aussi bref qu’incisif : « Les modes de vie finissent par se ressembler, à tous se conformer à un schéma culturel homogène », « L’instinct de masse est plus fort et plus souverain que la libre pensée », « la littérature populaire disparaît devant le phénomène du livre de la saison », « l’Europe, dernière Grèce », « l’Europe est encore le dernier rempart de l’individualisme », « l’autodissolution a détruit toutes les nations »… Quoique d’une tonalité pessimiste, l’article se conclu sur un appel : « une infinie variété attend les volontaires : voici notre atelier, notre monde à nous, qui ne sera jamais monotone ».
Novalis : le monde doit être romantisé

Décidemment bien inspirées, les éditions Allia ont édité une sélection de textes de Novalis sous l’intitulé « Le monde doit être romantisé ». Né en 1772 dans une famille noble allemande, Friedrich von Hardenberg fut à la fois poète, philosophe, juriste, géologue et ingénieur des Mines. Un des auteurs membres du Cercle d’Iéna qui rassemblait la fine fleur du premier romantisme allemand. Ses œuvres littéraires, philosophiques et scientifiques sont foisonnantes. La plus connue étant les Hymnes à la nuit. En tant que poète, il choisit le pseudonyme de Novalis qui évoque autant le nom d'un domaine familial ancestral (Novale) que le mot latin désignant la terre en friche. C’est dans un véritable océan littéraire, composé de milliers d’écrits, notes, observations… qu’ont été sélectionnés les textes réunis dans ce recueil. C’est dans l’un d’entre eux qu’est choisi le titre : « Le monde doit être romantisé. C’est ainsi que l’on retrouvera le sens originel. Cette opération est encore totalement inconnue. Lorsque je donne à l’ordinaire un sens élevé, au commun un aspect mystérieux, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini, alors je les romantise ». Cet appel relève autant sinon plus de l’esthétique et de la poésie que de la démonstration rationnelle philosophique. Le lecteur français, familier du romantisme littéraire de Victor Hugo et de Lamartine, pourra être dérouté par l’effervescence et les intuitions flamboyantes de Novalis. Un exemple de ce style philosophico-poétique : « Un philosophe véritablement total est par conséquent un vol migratoire, fait en commun, vers un monde désiré – vol au cours duquel on se relaie au poste le plus avancé, ce qui nous oblige à déployer beaucoup d’efforts contre l’élément hostile dans lequel on vole ». Il faut savoir s’y plonger pour retrouver la passion romantique qui a traversé l’Europe et inspiré des œuvres immenses.
___________________________

Les Cercles Condorcet sont affiliés à la Ligue de l'enseignement. Celle-ci anime une autre édition sur Médiapart: "Laïcité". Fondée en 2009 cette édition propose plus de 500 articles. Elle assure le suivi des événements, initiatives et publications liées à la laïcité au sens le plus large. Ne manquez pas de la visiter !