Le Cercle Condorcet de Paris à fêté en 2017 ses 30 ans devant un parterre de membres et d’amis réunis pour l’occasion au Carreau du Temple. Fondé alors que Claude Julien était président de la Ligue de l'enseignement, il fut le premier des Cercles Condorcet. Ce sont maintenant les Amis du Monde diplo, également fondés par Claude Julie, qui fêtent leurs vingt-cinq ans.

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Entretien avec Antony Burlaud, politiste, collaborateur régulier du Monde diplomatique, président des Amis du Monde diplo.
Le Monde diplomatique occupe une place spécifique dans la presse. Il peut être considéré comme une revue par la hauteur prise sur les thèmes traités et par la qualité des textes publiés. Et il a le format d'un journal. Comment décrire cette originalité qui fait son succès ?
Il est vrai que Le Monde diplomatique a une périodicité (mensuelle) qui lui permet à la fois de rester en prise avec l’actualité, comme un journal, et de se donner le temps de la réflexion, comme une revue. Il se distingue par son exigence, la qualité et la consistance de ses articles – quand tant de titres se contentent de produire de l’info pas chère, vite écrite, vite lue, vite oubliée. Donc, oui, il y a bien une « originalité » du Diplo, qui tient à quelques choix forts, sous-tendus par une réflexion critique de longue haleine sur les médias : prendre le temps d’approfondir les sujets traités ; ne pas reprendre les ritournelles à la mode ; ouvrir largement ses colonnes aux chercheurs ; donner une grande place à l’international (et notamment à des régions et enjeux que le discours médiatique dominant néglige) ; assumer une dimension politique et polémique, sans rien céder sur l’éthique journalistique…etc. Ce modèle exigeant semble fonctionner, puisque le Diplo, contrairement à la plupart des autres titres de presse, se porte bien. Le journal lui-même, mais aussi le bimensuel Manière de voir, ou l’offre d’archives en ligne, sont plébiscités par les lecteurs.
Des lecteurs ont fondé les Amis du Monde diplomatique il y a 25 ans. Lecteurs et actionnaires... Quelles étaient leurs objectifs ?

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La création des AMD a accompagné l’autonomisation du Diplo, au milieu des années 1990. Le journal est né, dans les années 1950, comme un simple supplément du Monde (destiné en priorité au personnel des corps diplomatiques). Il a progressivement forgé sa ligne et son identité propres. Le Monde et le Diplo se sont ainsi, peu à peu, dissociés. Dans les années 1990, la direction du Diplo (Claude Julien, Ignacio Ramonet et Bernard Cassen) a voulu assurer l’indépendance du journal en procédant à sa filialisation. Le Monde diplomatique est devenu une société anonyme à directoire et comité de surveillance : grâce au don généreux d’un vieux militant antifasciste ayant fait fortune en Amérique latine, Gunter Holzmann, les personnels du journal ont pu se constituer en association (Association Gunter Holzmann, AGH) et devenir actionnaires du Diplo. Dans le même temps, les lecteurs les plus fidèles du mensuel étaient appelés, eux aussi, à rejoindre une nouvelle association – les Amis, donc, dont Claude Julien fut le premier président – qui rachèterait une partie des actions possédées par Le Monde. Résultat de ce montage institutionnel : aujourd’hui, l’AGH possède 24% des parts du Diplo, et les AMD 25%. Soit, pour les deux associations réunies, 49%. Ceux qui font le journal et ceux qui le lisent possèdent donc, ensemble, une forte minorité de blocage, qui garantit, de facto, l’indépendance éditoriale et stratégique du Monde diplomatique par rapport aux autres actionnaires. Ce genre de modèle détonne dans le paysage médiatique actuel.
Peut-on en donner un panorama géographique ? Quel est l'impact de la pandémie ? Quelles sont les fonctions de la plateforme numérique ?
L’association, qui compte quelques milliers d’adhérents, ne se cantonne pas à sa fonction d’actionnaire. Nous avons aussi pour vocation de diffuser les idées et les analyses du Diplo, d’accompagner ses combats. Les AMD fonctionnent comme une sorte de « réseau social » militant (et j’ajouterais : artisanal), qui met en avant des idées souvent minoritaires et des auteurs rarement conviés à la télé ou à la radio. Pour mener à bien cette tâche, l’association dispose d’une soixantaine de correspondants (dont bon nombre d’étudiants actifs dans leurs universités), disséminés dans toute la France et à l’étranger. Ces correspondants, qui animent souvent de petites équipes, se chargent d’organiser, là où ils sont, et en fonction des opportunités, des événements autour des thèmes et contenus du Diplo. Même si les initiatives sont variées (projections de films, émissions de radio, discussion collective d’un article…etc.), la forme la plus courante est, bien sûr, celle de la conférence-débat, autour d’un ou plusieurs invités. En temps normal, plusieurs centaines de rencontres ont ainsi lieu chaque année, sous l’égide des Amis. Autant dire que la pandémie et toutes les restrictions qui l’ont accompagnée ont profondément affecté nos activités. Qu’à cela ne tienne : nous avons, comme beaucoup d’autres, adopté la forme de la visio-conférence. Plusieurs dizaines ont été organisées depuis cet automne, sur les sujet les plus variés, à l’initiative des uns et des autres. Elles sont resté de bon niveau, ont généralement été bien suivies, et nous ont sans doute permis d’atteindre des gens qui, en temps normal, ne seraient pas venus à une réunion publique. Dans le même esprit, nous allons, dans les tous prochains mois, commencer à produire de petits contenus audio ou vidéo, qui permettront à ceux qui le souhaitent de prolonger leur lecture du journal. En somme, la pandémie nous a forcé à expérimenter de nouvelles formules. Elles seront sans doute pérennisées, d’une manière ou d’une autre. Mais nous sommes impatients de retrouver le plaisir, la richesse et la qualité de l’échange direct, avec une salle pleine. D’autant que les sujets ne manquent pas, et qu’il y a fort à faire pour (contribuer à) éclairer un débat public de plus en plus confus. « Éclairer », voilà un projet qui doit parler à des disciples de Condorcet…
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Les Cercles Condorcet sont affiliés à la Ligue de l'enseignement. Celle-ci anime une autre édition sur Médiapart: "Laïcité". Fondée en 2009 cette édition propose plus de 500 articles. Elle assure le suivi des événements, initiatives et publications liées à la laïcité au sens le plus large. Ne manquez pas de la visiter !