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Billet de blog 29 avril 2025

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François de Cornière, poète du quotidien et du ressenti.

Le poète François de Cornière a pioché dans ses divers recueils pour composer à 75 ans une anthologie de poche qui, à travers la sienne, raconte « Un peu de nos vies ». Un article de Philippe Brenot, journaliste.

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« Ce ne sont pas de grands poèmes mes petits vers. Tout au plus des impressions que j’ai du fond de moi laissées venir sur du papier – et quand je le pouvais » écrit François de Cornière dans l’un des poèmes de l’anthologie "Un peu de nos vies" qui vient de paraître dans la collection de poche Points Poésie : l’occasion de mettre en lumière une œuvre qui se sera efforcée de saisir ces instants du quotidien où le cœur flotte un peu. « Ces moments-là », nés d’un visage que l’on croise, d’une sourde réminiscence, d’un détail signifiant ou d’un micro-fait de la vie quotidienne, chacun d’entre nous les vit, les ressent, puis les oublie. François de Cornière, lui, les retient mentalement ou gribouille dans le carnet qu’il garde par devers lui les trois mots qui lui permettront de les restituer sur la page blanche, en se gardant de trop polir sa prose afin de conserver ce qu’il faut de spontanéité.

Les poèmes et textes courts tirés de ses différents recueils sont précédés, pour chacun de ces chapitres d’une vie, de citations choisies, mi-profession de foi mi-laisser-passer. Comme lorsque Rémy de Gourmont affirme qu’« Il n’y a que les imbéciles qui croient que les grands sujets font la grande littérature ou la grande peinture », et ajoute qu’« un homme qui dit sincèrement ce qu’il voit, et seulement les choses qu’il voit, n’est jamais ridicule ». Ou celle de Georges Haldas, qui tient presque du manifeste : « Je vis de ces éclairs, je vis de ces instants. » Et s’il fallait une référence supplémentaire, plus récente et davantage grand public, on suggèrerait que l’art de François de Cornière a quelque chose de celui du Philippe Delerm de « La Première gorgée de bière ». Mais en plus bref, plus personnel, et avec un voile de gravité, de fragilité, de mélancolie : les états d’âme d’un grand enfant qui, très tôt, aura pris conscience de la fugacité de l’existence et voulu en préserver les traces immatérielles.

Dans la poésie de François de Cornière on rencontre de discrets éblouissements, des ravissements, des moments d’harmonie à deux, des enfants qui grandissent, des pincements au cœur et de douloureux petits coups de poignard, enfin bref des joies et des peines. Cela ferait cliché si les poèmes de François de Cornière ne relevaient pas de l’instantané, ou mieux encore de ces Polaroïd qui prennent forment sous nos yeux mais dont nous savons que très vite elles commenceront à perdre leurs couleurs, jusqu’à ne plus dessiner que des ombres un peu floues.

Dans « Partir pour de bon », François de Cornière de Cornière s’est également essayé avec bonheur à étirer sa prose vers la très courte nouvelle : on en trouve ici deux exemples. Il y a aussi « La Terre ronde », récit de l’attachement à une rustique maison de famille perchée dans un coin reculé de l’Ardèche, et qui constitue sans doute l’un de ses textes les plus inspirés. Celui-ci recèle même un embryon de fait-divers quand, lors d’un hiver exceptionnellement rigoureux du début des années 1970, l’auteur et sa compagne y restèrent coupés du monde pendant quatorze jours sans électricité et très peu de vivres avant de réussir à se frayer une sortie parmi les congères. D’autres en auraient fait un roman, pas lui, tant mieux.

Illustration 2
François de Cornière. Photo Le Castor astral.

Le sport est aussi prétexte à creuser une veine nostalgique, ici présente à travers la description de terrains de tennis voués à la destruction, extraite de « J’ai beau marcher (je n’arrive jamais », qui voit François de Cornière arpenter les stades d’une jeunesse caennaise. Il y a aussi les émotions minutées – 90 en tout, plus la mi-temps – d’un match de football du début des années 1960, merveilleusement contées dans « La surface de réparation ». D’un sport à l’autre, tout demeure affaire de toucher et il est aisé de deviner quel genre de joueur il était.

À revisiter chacun de ses recueils jusqu’au dernier, « Ces traces de nous », paru concomitamment au Castor Astral, cette anthologie finit par dérouler un genre d’autobiographie impressionniste où, sans trop se dévoiler, l’auteur livre ce qu’il y a de plus intime. C’est particulièrement vrai dans « Nageur du petit matin » qui, toujours sur la pointe des pieds, dit la douleur, la perte et l’absence de sa compagne, emportée par le cancer. « Je croyais pouvoir ne jamais écrire sur ta mort – question de pudeur et de dignité », s’étonne-t-il dans « J’étais là ».

Après, c’est comme si quelque chose s’était éteint, ou cassé. Les poèmes passent parfois de la première à la troisième personne pour dessiner la silhouette d’un homme qui cherche à retrouver ses repères. Les recueils se font volontiers journaux de bord adressés depuis le morceau de côte atlantique où, après avoir vécu à Caen et y avoir animé pendant trente ans les « Rencontres pour lire », l’auteur a définitivement élu domicile.

Si dans un bourg de la presqu’île guérandaise vous apercevez un homme à la jeunesse lointaine qui regarde l’océan, le ciel, les mouettes et les gens sur la plage avec plus d’intensité que la moyenne, et qui vous croisant esquisse un sourire, dites-vous qu’à cet instant la poésie rayonne partout autour de vous.

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