Billet de blog 7 sept. 2020

Tarik Safraoui
Equipe Modération
Salarié·e Mediapart

«Je ne suis pas homophobe, mais…»

Homophobie: comment exprimer son point de vue, débattre, s'engueuler même, sans attaquer par ricochet des personnes qui n'ont rien demandé. Accompagnant la libération de la parole des femmes et des personnes racisées, les LGBTQI+ aussi entendent prendre part au débat.

Tarik Safraoui
Equipe Modération
Salarié·e Mediapart

«Macron, Macron, on n’t'encule pas : la sodomie, c'est entre amis !».


Depuis quelques années, dans les manifs, et depuis la résurgence du Pink Bloc – cortège LGBTQI+ donnant une visibilité aux questions de genre, d’orientation et d’identités sexuelles dans les manifestations sociales ou de solidarité internationales – « Pride de nuits » et « pôles radicaux » dans les marches des fiertés, le slogan le plus scandé et certainement le plus apprécié est : « Macron, Macron, on n’t'encule pas : la sodomie, c'est entre amis ! ».
En plus d’être drôle, ce slogan en appelle à notre vigilance collective sur le vocabulaire oppressif qui, souvent non intentionnellement, atteint les mauvaises personnes.

Illustration 1
Logo Mediapart aux couleurs de l'arc-en-ciel

Les insultes en question 


En effet, notre langue, fleurie ou non, est particulièrement sexiste et homophobe. Il suffit de s’intéresser de près aux insultes les plus répandues pour le comprendre. L’association Respect Zone a recensé dans une étude de 2016 que les insultes les plus proférées sur internet sont « Pute » et ses déclinaisons familiales (maternelles principalement, pas de batailles entre le parent N°1 et le parent N°2 cette fois-ci), ensuite, les débats sur les couilles, en avoir, ne pas en avoir, se les battre ou les laisser sur la table à manger… Le cul, les salopes, les pédés et les enculés arrivent ensuite.
Le constat est là, quand le ton monte, quand il faut montrer qui domine qui, qui est au-dessus, société hétéro-patriarcale oblige, souvent, les femmes et les LGBTQI+ qui n’ont rien demandé se retrouvent mêlé·e·s à cette histoire. Non, Pierre Gattaz n’est pas un gros pédé (on vous le laisse). Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, ne pratique pas le BDSM avec Geoffroy Roux de Bézieux président du MEDEF. Les salariés « jaunes » qui narguent les grévistes ne sont pas des « suceurs de bites ». Marine Le Pen n’est pas une salope. À part peut être pour des lèvres gercées, la Vaseline n’aide en rien un salarié victime de plan de restructuration (comme ils disent). Et, jusqu'à déclaration ou preuve du contraire et quoi qu’on en pense, Macron n’est pas un enculé.
Et quand bien même, si quelque "enculé" que se soit se mettait à opprimer, licencier, violenter, trahir, tuer, ou quoi que ce soit, une fois de plus, le problème n’est pas l’identité sexuelle ou sa pratique, mais bien l’oppression qu’il fait subir, la violence, la trahison ...

"On ne peut plus rien dire !"


J’entends déjà, du fond de la classe, murmurer qu’ « y’a pas que les invertis qui naviguent sur les sombres océans séparant la vie du royaume des ténèbres » ou « Je ne suis pas sexiste, mon parent n°1 est une femme » ou encore « je ne pense pas à pédé quand je dis pédé » (oui, ils sont toujours un peu chelous au fond de la classe).
Alors oui, je pense que l’intention compte, et doit être prise en considération. C’est là l’intérêt d’une modération humaine remplaçant les algorithmes. L’intention des commentateurs·trice·s grossiers ou grossières est souvent « de bonne foi » ou « sans se rendre compte » mais dans ce cas, elle place justement, les LGBTQI+ ou les femmes dans une position délicate, rien de sexuel cette fois-ci : le cul entre deux chaises.

La sodomie peut, il est juste, être pratiquée par tous les genres, toutes positions confondues pénétré.e/pénétrant.e. Mais on utilise le terme de « sodomie », « d’enculé », « Il faudra de la vaseline » etc. pour discréditer son adversaire, pour dire sa soumission, sa faiblesse, son rapport de domination: sa passivité. Or, c'est bien la passivité supposée de la personne qui est enculée, sodomisée, qui confère à ce nom une dimension insultante.

Toutes les insultes homophobes ont à l'origine une signification en termes patriarcal et sexiste, dans le sens où elles désignent soit la présence de traits féminins chez un homme, soit une moindre masculinité. Il s'agit donc bien d'une insulte hétérosexiste, c'est-à-dire une insulte qui vise à inférioriser les femmes et les gays et donc: homophobe.

Pas de panique, pas d'essentialisation


Donc si votre commentaire est supprimé pour homophobie, pas de panique, cela ne fait pas de vous un horrible homophobe, il arrive à tout le monde d'utiliser du vocabulaire oppressif, symptôme d'une société oppressive, mais de grâce, ne justifiez pas ce terme homophobe, de grâce ne vous enfermez pas dans une justification hasardeuse, et considérez cette erreur comme ce qu'elle est, une erreur.
L’homophobie n'a pas sa place dans le fil de commentaires de Mediapart.
Dire ça, ce n’est pas dire que nous voulons d’un monde propre et aseptisé, ce n’est pas de cela dont il s’agit, ni même élitiste, au contraire, on veut un peu de place au banquet, pour pouvoir débattre, rire, et vivre avec vous.

Voilà pourquoi, la modération s'efforce de prendre en compte toutes ces réalités, même si parfois, c'est frustrant. Si vous pensez que la partie commentaires est un défouloir, pourquoi pas, mais faisons en un défouloir pour tout le monde, soyez créatifs et créatives, faisons en sorte que ce ne soit pas juste la loi du plus fort.
Tarik Safraoui

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