Billet de blog 30 novembre 2010

Entretiens de Montreuil

Abonné·e de Mediapart

Discours introductif de Dominique Voynet : "Montreuil, une ambition dans la ville monde?"

Entretiens de Montreuil

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mesdames messieurs chers amis,

Merci à chacun, intervenant et participant, d’avoir pris un peu de son samedi pour réfléchir avec nous à l’occasion de cette première séance des Entretiens de Montreuil.
La fonction de ces rendez vous quasi trimestriels est simple : il s’agit de sortir le nez du guidon, de prendre du recul, de confronter les éléments que nous tirons de notre propre pilotage du changement ici ou là, avec l’expertise de chercheurs, d’intellectuels, dee militants ou d’élus placés devant les mêmes contradictions, difficultés ou opportunités du réel et par conséquent devant les mêmes interrogations que nous. C’est nos pratiques locales ou municipales qui sont concernées au premier chef mais il n’est pas interdit de penser qu’à travers quelques uns des moments d’échange qui auront lieu ici ou ailleurs, puisse se jouer également un peu de l’installation d’un
discours neuf pour toute la gauche et les écologistes, dans la perspective d’ échéances importantes qui nous attendent.

Nous sommes tous convaincus je pense que pour gagner en 2012, il ne suffira pas d’un discours d’opposition, ni de répéter les mêmes slogans qu’il y a 15 ou 30 ans.
Dans les trois premières séances de ces Entretiens, au cours de l'année qui vient, il sera donc beaucoup question des évolutions qu’ont toutes connues depuis un quart de siècle au moins, les agglomérations mondiales et, dans ce cadre, les villes qui se
trouvent en pourtour ou en périphérie de ces métropoles. Avec le souci d’en tirer quelques leçons pour notre propre pratique, pour notre propre exxpérience concrète de la conduite du changement.

Illustration 1

La « ville monde », la diversité des fonctions, l'étalement urbain, la mobilité, la mixité des activités, la « coexistence des populations anciennes et des nouvelles », la « nature en ville », vous l’avez compris : Autant de facettes de la même question urbaine telle qu’elle se déploie dans le contexte d'un enchevêtrement inédit, au plan mondial, des tensions et des crises écologiques, économiques et sociales. Pour faire court, on formulera le questionnement général d’une façon peut être plus brutale : Dans le cadre des rapports entre les métropoles de la planète, dont participe la région parisienne, ya-t-il un autre avenir pour nos territoires que les attributs présentés comme constitutifs et inévitables de la globalisation, à savoir la tertiarisation universelle, la verticalisation, la gentrification, l’éviction et la ségrégation ? Cette interrogation, et le pari qu’on peut et qu’on doit faire autrement, irriguent à Montreuil nos politiques d’urbanisme, d’aménagement, de logement, d’équipements publics, d’éducation, de solidarités, exactement comme ils hantent, j’en suis certaine, nos amis de Nanterre ou de Saint Denis qui, bien que placés géographiquement sur des lignes de front différentes des nôtres, se heurtent aux mêmes enjeux de fond que nous...

Et si nous avons choisi d’aborder cette question générale par le biais d’un échange sur la « ville monde », ce n’est pas seulement parce que nous avons inauguré jeudi une belle quinzaine consacrée au cinquantenaire des indépendances africaines où on insiste d'avantage sur les des excellences et les fiertés africaines, sur les potentiels et les apports réciproques, que sur les handicaps et les misères de cet immense continent.
C’est parce que nous portons la conviction que la présence à Montreuil de plusieurs dizaines de groupes d’origine nationale différente, (on parle ici de 80 voire 90 nationalités sur le territoire de la commune), loin d’être un simple indicateur, j’allais dire de « mondialisation subie » ou de « globalisation passive », constitue au contraire une opportunité particulière pour faire prendre à la métropole francilienne une autre tournure , une autre allure, pour lui écrire une autre fonction que le simple projet d’être en rivalité avec New York, Singapour, Shanghai ou Londres dans la compétitivité internationale des métropoles.Un autre destin que la course infernale pour offrir les meilleurs services spécialisés aux entreprises multinationales, assurances, droit, banque, comptabilité, fiscalité, publicité ou relations publiques, accès au foncier…

Une autre vocation que de vouer tous nos quartiers frontières ou toutes nos portes avec Paris à l’installation des nouveaux back office du management planétaire des grands réseaux du capitalisme financier. Une autre ambition que de capter au profit de populations définitivement pauvres quelques miettes d’une rente qui les chasse toujours plus loin.

Vous aurez reconnu là le débat qui s'est engagé en matière de transport de capacité, entre le ruineux projet de grand huit du gouvernement, et le projet arc express proposé par la région et qui vise un maillage moins grossier des territoires des premières couronnes de l’ile de France
Vous aurez reconnu là aussi l’enjeu de la validation par l’Etat du Schéma de développement Régional de l’ile de France, le Sdrif...
Car justement, le choix d’un autre modèle de développement pour la région francilienne ne se réduit pas à la question des grands équipements.
Il n’est pas certain que la différence entre les villes métropoles se fasse désormais sur les seuls critères des opportunités offerts aux grands investisseurs. Elle intègre bien d’autres indicateurs de durabilité dans lesquels la qualité de vie, la formation, l’environnement de l’entreprise, la tranquillité publique, la culture, le paysage urbain, occupent une place de premier rang. Et si la puissance d’une cité se mesure comme on le dit désormais, à la variété et au nombre de ses connexions avec le reste du monde et si, comme on le dit également, les villes sont devenues des acteurs en tant que tels de la mondialisation, alors notre propre potentiel est considérable...

La présence de populations venues de tous les continents dynamise en effet plusieurs facettes de notre ville : diversité, capacité d’adaptation et d’innovation dynamisée par la rencontre imprévue entre des groupes très différents, inscription dans les réseaux d’expertise pointus que créent les mobilités pendulaires des populations et leur passage fréquent d’une représentation ou d’un contexte à l’autre, multiappartenances,
productions culturelles et artistiques du monde. Elle implique une certaine conscience des interconnexions planétaires, celle qui
nait parfois de l’expérience partagée des mêmes défis écologiques ou de la mise en commun de facettes différentes d'un même enjeu complexe: le bouleversement climatique, les réfugiés économiques, les guerres Cette présence interpelle aussi nos valeurs et bouscule certaines habitudes solidement ancrées :


- Dans la relation à l’autorité et au pouvoir, elle complète sans doute
l’affirmation abstraite du principe démocratique d’accès universel aux droits par
une demande qualitative plus forte de liens concrets avec ceux qui les exercent.


- Dans la relation à l’écrit, qui représente le nec plus ultra de la formation et
de la distinction des élites républicaines, elle invite à un usage plus différencié
des canaux et des registres de la communication dans la ville, à réhabiliter le
récit, l’émotion et le contact.


- Dans la relation au territoire et à l’espace, elle « désuniformise » et
réintroduit de la variété : redéfinition des rapports fermé /ouvert ou
public/privé, des usages de la rue, du quartier ou des temps.
Ainsi considéré, notre rapport à l’étranger ou à l’autre dans la ville change
complètement.


Il nous renvoie au-delà si j’ose dire, d’ une simple catégorie morale relevant de la solidarité, ou d’un simple impératif d’humanisme et d’universalité mais il est une des clefs, un des leviers pour faire muter nos propres modèles de développement et de
civilité .
Comme on dit, il n’est plus un problème, il est un élément de la solution. A partir de là, nous avons conçu cette séance comme devant permettre des allers et retours entre les concepts et la pratique, pour visiter un certain nombre de questions...


Car nous ne partons pas de rien. Outre nos politiques éducatives globales et dans la continuité souvent d’ailleurs des politiques antérieures, outre notre ligne globale de résistance au « tout bureau » et en faveur du logement qui, elles, sont nouvelles, nous menons bravement des segments de politiques de solidarité à destination des populations étrangères ou issues de l’immigration.
Sur ces segments notre souci constant est cependant d’éviter le ghetto, de chercher l’universel au delà des dispositifs spécialisés, d’en revenir chaque fois que c’est possible au droit commun.
Et cela alors même que les préjugés bureaucratiques handicapent nos efforts pour nous débarrasser des gangues paternalistes, infantilisantes et pour innover.


· Pour nous, si elles différent dans leurs modalités, la reconstruction ou
la rénovation des foyers – par exemple celui du centenaire - et l’adaptation
de l’offre de logement aux parcours complets de vie pour les immigrés

n’obéissent pas à une logique foncièrement différente de celle que nous
mettons en place pour construire la Maison Commune des Babayagas.


· L’action forte que nous menons contre l’errance des populations roms
ne présente pas en elle même d’autres enjeux que la réponse aux
situations de malheurs dans lesquelles se trouvent des centaines de
populations sans domicile fixe.


· L’important dispositif d’alphabétisation ou l’attention particulière portée
aux conditions d’accès des étrangers aux droits ou la relance de l’idée du conseil
des résidents étrangers, n’ont de sens qu’inscrits dans notre plan local de lutte
contre les discriminations


· Les politiques de coopération avec plusieurs pays ou régions dont les
migrants sont présents à Montreuil, bien sûr le Mali, et dès l’année prochaine le
Kurdistan ne sont pas séparées de nos efforts en faveur de la construction
européenne.


· Enfin, la valorisation dans toutes ces politiques de la place particulière des
femmes s’inscrit évidemment dans l’affirmation de nos options féministes en
général.


C’est en premier lieu la condition pour que toutes ces initiatives soient perçues comme s’adressant à tous, pour qu’elles répondent aux doutes ou aux agacements de celles et ceux qui pensent qu’ »on en fait trop » pour telle ou telle catégorie particulière de la population !
Mais notre rêve de Montreuil est en réalité plus ample :
Nous rêvons de dépasser la situation que nous connaissons ici trop souvent. Une sorte de « cohabitation positive » et sans tension : on y passe parfois de l’indifférence courtoise au partage, à des heures différentes, de la rue, les populations n'occupant pas les mêmes lieux aux mêmes moments..


C’est déjà pas mal et c’est mieux qu’ailleurs, dans le contexte que nous connaissons par ailleurs, mais que cela reste terriblement fragile !
Nous rêvons de parvenir à un projet urbain qui assume et qui revendique, comme un des éléments internes de cohésion sociale et comme un des facteurs externes d’attractivité, sa dimension cosmopolite. Comment donc, par quelle pratique de l’espace public et de la rencontre, dépasser une forme sympathique d’exotisme urbain pour produire une fraternité durable, ouverte, explicitement inscrite dans l’identité de la ville ?


Au lieu de la concurrence désormais forte entre les groupes sociaux pour la répartition de l’espace et des ressources de la solidarité, par quels canaux, par quelles institutions et quelles opportunités, faire partager cette identité par une grande majorité de la population quelles que soient l’ancienneté de sa présence, ses origines et ses parcours ? Nous avions espéré que cette tâche serait plus aisée dans le projet de territoire de
notre nouvelle communauté d’agglomération est ensemble, mais en réalité il se pourrait bien que nos voisins ne partagent pas spontanément cette préoccupation.


Un autre atout serait sans doute de mobiliser de façon plus concrète la concentration particulièrement élevée à Montreuil de groupements d’activistes de la solidarité sociale, internationale et environnementale...
Et comme nous n’avons ni l’illusion qu’on peut tout faire tout seul, ni la lâcheté d’attendre que tous les autres se soient mis en marche avant de commencer, nous pourrions soulever en passant des problématiques plus larges, qui interpellent notre
projet de 2012...


Quels espaces, à l’opposé des politiques actuelles de dislocation, de divisions et de répression, l’Etat pourrait il et devrait il ouvrir pour élargir et sécuriser a minima ces politiques territoriales nouvelles des villes monde ?


Comment pourrait-il reconnaître le phénomène, à la fois par des politiques particulières et par leur inscription dans le droit commun ?
En matière d’habitat, d’activités, d’emplois, d’éducation, de droits, de citoyenneté, de coopération?
Comment, et pour nous-mêmes, pourrions nous imaginer et organiser un véritable lobbying de quelques grandes villes mondes de notre région ?
Mesdames messieurs, chers amis, Vous aurez compris que nous avons là une véritable gageure et que nous ne sortirons
de cette séance qu’avec l’impression d’avoir effleuré tous ces sujets. Mais c’est la loi du genre.


Il ne s’agit pas pour nous de définir un discours, une rhétorique substitutive pour des villes orphelines du grand soir...
Il s’agit pour nous de maintenir ouverte la question du contenu et des valeurs de notre action, car là où il n’y a pas de sens il n’y a pas de chemin...


Je vous remercie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.