Billet de blog 30 novembre 2010

Entretiens de Montreuil

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Les Entretiens de Montreuil du 6 novembre 2010 : Intervention d'Elise Palomares

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De la « ville ouvrière » à la « ville monde », la figure de l’étranger à Montreuil

Dans une ville qui se disait naguère ouvrière et se présente désormais comme une « ville monde », comment la figure de l’étranger a-t-elle évolué ? Les accusations de racisme ou la défense publique de positions antiracistes ont une résonance particulière dans le contexte montreuillois, dans la mesure où sont constitutives des identités politiques concurrentes, y compris à gauche, où le passé (l’héritage antifasciste et anticolonial, le soutien à la République spagnole) est régulièrement invoqué.

La figure de l’étranger doit ici être entendue au sens large des groupes perçus comme étant différents des autochtones et du sens qui est attribué à cette différence. Elle est liée à la distinction entre nationaux/étrangers établie par les état nations territoriaux européens au 18ème, à l’installation concomitante – durable, massive, ancienne – de ceux qu’on appelait « la main d’œuvre étrangère », nécessaire à l’économie capitaliste. Elle comprend aussi des figures historiquement forgées par l’esclavage, tel la catégorie « Noir », par la colonisation (« français musulman »), et leurs réverbérations dans le présent ; de multiples situations minoritaires tels que celles des Juifs de Montreuil auxquels J. Laloum a consacré un travail historique approfondi sur la période allant des années 20 aux années 50 ; les Roms qui sont revenus sur l’avant scène publique dans les scabreuses circonstances estivales que l’on sait.

Illustration 1

Ce thème de « Montreuil ville monde » était présent dans la charte 2001-2007 de la ville de Montreuil : il faut évidemment faire l’hypothèse que son contenu a connu des évolutions, mais je voudrais en proposer ici une « archéologie récente » sur la base d’une étude sociologique menée il y a une dizaine d’années.

Avec la fin de la « ville ouvrière », la lutte des classes ne constitue plus un prisme dominant dans la définition des identités collectives et individuelles. Ce glissement a accompagné la redéfinition de l’immigration comme étant « le problème public » national et local, problème public dont la définition s’est progressivement imposée dans les années 90, amalgamant « problème sociaux », les « immigrés et leur descendants » et leur concentration résidentielle dans les « banlieues ». Simplifions outrancièrement les deux définitions locales successives des étrangers, enchâssées dans les évolutions sociopolitiques nationales. La première faisait des migrants issus des (ex)colonies des travailleurs subalternes dont il fallait assurer l’égalité des droits afin qu’ils n’entrent pas en concurrence avec les travailleurs français et des exilés politiques européens des camarades. La seconde, fondée sur la promotion d’une définition ethnico-culturelle de l’appartenance locale, considère les « nouveaux » migrants comme des porteurs de « cultures différentes ». Dans ce mouvement, la présence des étrangers se trouve redéfinie comme « un enjeu d’identité urbaine ».

Dans la relecture du passé portée par l’institution municipale d’alors, les divisions nationales, ethniques ou « raciales » antérieures à la crise des années 1970 demeurent occultées : les anciens immigrés originaires des pays européens – en particulier les Italiens –sont pensés de manière univoque comme participant de la « tradition locale de résistance » - les travaux de l’historienne Marie Blanc-Chaléard montre combien les choses étaient autrement plus complexes. Par contraste, l’installation des travailleurs originaires des anciennes colonies, d’abord définis comme la frange la plus exploitée des travailleurs, était désormais perçue comme une nouveauté historique, étrangère, voire rétive, à ces « traditions progressistes ».

De là, l’idée largement répandue selon laquelle ces « différences culturelles » rendraient l’« intégration de ces nouveaux immigrés » plus difficile, même si souhaitable et nécessaire; tout en célébrant Montreuil en tant que commune dont le passé attesterait de sa qualification et de sa bonne volonté en la matière.

Ainsi, de Montreuil « ville ouvrière » à « Montreuil, ville monde » ou « terre d’accueil », le mouvement peut être lu comme une traduction de gauche de la grammaire nationale des politiques dite d’intégration. La municipalité d’alors faisait abondamment référence au mythe républicain national (France, terre d’accueil), fondant la vivacité du mythe montreuillois : Montreuil est une terre d’accueil « depuis toujours » et entend le demeurer. Elle entretenait la mémoire des différentes migrations, la célébration réitérée de la richesse des échanges interculturels et nourrissait la conviction de représenter une voie différente de celle empruntée par d’autres villes vis-à-vis des étrangers.

Ces discours institutionnels se calquent aussi sur l’idéologie nationale en ce qu’ils « se fonde[nt] sur une interprétation négative des regroupements ethniques » (Jacquier 1989) et sur la réaffirmation au niveau local de « l’obsession d’unité », selon l’expression de M. Certeau, 1986), à travers la valorisation d’une identité montreuilloise.

Les termes de « montreuillois d’origine », d’« anciens montreuillois », de « traditions », de « culture » ou de « racines » montreuilloises , voire de « patriotisme montreuillois » alimentent la valorisation de l’identité montreuilloise fondent une unité locale non plus sur une identité politique de classe mais sur une identité symbolique d’autochtone.

Dans cette tension entre l’entretien d’une unité locale fondée sur l’autochtonie et les velléités d’ouverture et de pluralisme d’une « ville monde », la définition institutionnelle de l’appartenance locale reproduit alors localement les contradictions du modèle national, au plan symbolique comme dans ses application concrètes. Qui est montreuillois ? Qui ne l’est pas ? Qui est en passe d’être presque-déjà-montreuillois ou montreuillois-en-devenir et à quelle (plus ou moins longue) échéance ? Au bout de combien de temps ? A quelles conditions ? Par exemple, cette question a pu recevoir des réponses divergentes pour les habitants des foyers de travailleurs migrants ou peut se décliner en pratique en opposant « les immigrés montreuillois » des « immigrés venus de Paris ».

Dans le même temps, ces traditions locales et nationales réinventées de solidarité antiraciste et de résistance constituent un fondement symbolique d’une « communauté montreuilloise imaginée » vivace. Elle constitue un des moteurs du développement de la vie associative et militante locale, autorisant l’arrangement par les migrants et leurs descendants de la place qui leur est faite dans l’ordre social local et national.

Souvent institués comme responsables du contrôle de la conformité (morale, sociale et culturelle) des membres du groupe minoritaire qu’ils ou elles sont censées représenter (en particulier, ils ou elles se devraient de contrôler « leurs » enfants) les responsables associatifs voient dans le même temps leurs revendications collectives d’égalité disqualifiées et limitées au nom de la lutte contre un communautarisme fantasmatique. Ici comme ailleurs, ainsi que le montre les travaux de Vincent Geisser notamment, les élus d’origine étrangère ou supposés tels sont pris dans cette injonction paradoxale : sans cesse identifiés par leur origine, la représentation politique des groupes minoritaires racisé.e.s, exploité.e.s et opprimé.e.s demeure un registre proscrit dans l’arène politique locale.

A l’heure où l’on apprend que l’immigration et la naturalisation relèvent désormais des prérogatives policières du Ministère de l’Intérieur, l’urgence est sans doute ailleurs. A moins qu’elle ne soit aussi dans les promesses de l’idée de ville monde, celles de tenir ensemble pluralisme et égalité.

[1] Au sujet de cette idée communément admise selon laquelle les cultures et traditions sont censément plus distants pour les immigrés non européens, rappelons avec l’historien Gérard Noiriel que la mise à distance des Polonais et des Espagnols s’appuyait sur l’idée que leur catholicisme rétrograde était incompatible avec le catholicisme éclairé des Français, ce même catholicisme qui est aujourd’hui présenté comme expliquant leur intégration « plus facile ».

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