Billet de blog 30 novembre 2010

Entretiens de Montreuil

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Les Entretiens de Montreuil du 6 novembre 2010 : Intervention de Michel Wieviorka

Entretiens de Montreuil

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Michel Wieviorka est un éminent sociologue, reconnu récemment pour ses prises de position contre le débat sur "l'identité nationale". Il est venu à Montreuil, donner son point de vue sur le phénomène de la ville-monde. Son intervention fait suite à la diffusion d'un film : "Trajectoires de vie"

Le film montre bien que l’on se trouve à Montreuil et non en région parisienne, dans une ville monde. Le monde n’est pas une ville, même si plus de la moitié de l’humanité vit en ville, tous les gens ne vivent pas dans des vraies villes. Alors que Montreuil est une vraie ville.

Nous ne sommes pas dans une banlieue ni à Paris mais dans une vraie ville avec ses spécificités, son tissu associatif et ses vrais gens. Je dirais volontiers que c’est une ville globale. Une ville dans laquelle il y a différents niveaux d’existences territoriales.

Les habitants sont capables d’articuler ces niveaux. Le niveau national ne les concerne pas. Les gens sont locaux et mondiaux et ne sont pas forcément excités par le thème national.

Penser global c’est articuler toutes sortes de niveaux.

Illustration 1

Les gens du film ne parlent pas beaucoup d’ Internet alors que les spécialistes insistent sur ce mode de communication qui permet de manière virtuel d’exister de manière globale: les gens vivent dans des communautés imaginaires mondiales dans le temps la communauté imaginaire était la nation. Aujourd’hui grâce à Internet, au téléphone, au cinéma (…) elle peut être mondiale.

Une de mes collègues appelle d’ailleurs les migrants « les connectés » ils sont plus modernes que « les gens de souche »

Cela me rappelle lorsque j’ai mené une expérience de recherche sur des gens de la RATP. Les agents avaient embarqué ce que l’on appelait des grands frères qui montaient dans les bus pour calmer le jeu lorsque c’était nécessaire. Je me souviens d une réunion où on était une quinzaine, ces grands frères, des sociologues, et des français « de souche ».Ce qui m avait frappé, c’est que seuls les migrants possédaient des téléphones mobiles et que les sonneries en étonnaient plus d’un.

Dans le film on aurait pu montrer que le monde des migrants est un monde moderne, un monde qui est dans le coup, y compris d’un point de vue technologique.

Je voudrais aussi dire ceci qui me frappe dans ce film, qui est dit d’ailleurs par une collègue sociologue c’est qu’on est ici dans une ancienne banlieue rouge, un monde ou la question sociale était plus traitée que la question culturelle.

Ce qui me frappe c’est que si on veut comprendre ce qu’est une ville monde à l’heure actuelle il ne faut pas dire que la question culturelle a remplacé la question sociale mais dire que une ville monde est une ville ou il y a à la fois du social et du culturel.

Ce film montre bien, comment ce monde de la différence produit de la différence et à la fois de l’intégration. Ces différences ne sont pas stabilisées.

Les gens n arrivent pas avec des identités figées, ils inventent des différences qui se transforment. La ville monde et les communautés n’excluent pas l’individualisme.

On voit très bien comment on peut être dans la différence tout comme dans l’universel. C’est le plus important pour moi, cela fait 40 ans que dans ce pays les débats nous disent qu il faut choisir si on est républicain ou défenseur des communautés. Il n y a pas à choisir, on peut circuler entre les identités particulières et les valeurs universelles

Je voudrais ajouter que dans ce film on n’ entend pas certains discours hypocrites qui aboutissent à masquer les problèmes. Je suis excédé par les discours sur la mixité car les mêmes qui tiennent ces discours réfléchissent avant d’envoyer leur enfants dans les écoles où il y a des enfants issus de l’immigration et parfois même déménagent pour ne pas avoir à les y envoyer.

Le film n’est pas surplombé par un discours facile que l’on entend souvent.. Quand on parle de solidarité on évoque des vrais comportements.

Il est toujours important de voir que l’enjeu aujourd’hui n’est pas de choisir, comme disait Régis Debray entre républicain et démocrate, mais de dire que si on est uniquement d’un côté ou d’un autre on court de grands dangers. Si on est uniquement républicain, on nie les identité particulières. Si on est uniquement du coté des identités particulières on risque bien des dérives, d’où l’utilité de concilier les deux. Il vaut voir que la profondeur des identités se nourrit des valeurs universelles.

Lorsque l’on regarde ce film on se dit qu’on devrait être sur le terrain plus souvent. Cela me fait penser à deux grands débats nationaux (le deuxième apparaît dans le film).

D’abord celui des statistiques ethniques ou de la diversité (pour ceux qui sont pour), je pense qu’on pourrait s’intéresser pour des raisons positives de lutte contre la discrimination par exemple au nombre de personnes venant du Mali, d’Algérie … et habitant à Montreuil. On ne doit pas être arc-bouté sur le danger de compte des gens. Cela devient un danger uniquement si on les repère, les fiche…

Le second débat est présent dans ce film, il s’agit du co-développement. Ce débat a été lancé dans les années 90 par Sami Naïr mais en réalité ce débat dissimulait une politique migratoire.. Aujourd’hui le co-développement est terrible, c’est un prétexte à accords pour envoyer les clandestins dans leur pays. Ainsi défini le co-développement est inacceptable. Dans le film on voit qu on peut faire du co-développement sans passer par le haut mais en passant par les réseaux associatifs.

Pour finir, je trouve qu’on a beaucoup à gagner à analyser les grands problèmes de société depuis le bas vers le haut, on a tout à gagner à en débattre avec toute sortes de personnes. Ces entretiens sont une bonne idée. Un débat n’est pas là pas forcément pour apporter une solution, cela sert à réfléchir et à élever notre perplexité. On part d un point de vue local mais peut être qu’ailleurs on va retrouve les mm spécificités qu’ à Montreuil.

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