Alors qu'elle se remet de la réduction de la publicité sur les chaînes publiques, et conquiert de nouveaux clients, Christophe Girard, adjoint au maire de Paris chargé de la Culture, s'oppose à la privatisation de la régie, qui conduirait les bénéfices retirés des programmes du service public dans l'escarcelle du privé.
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Le 8 janvier 2008, le Président de la République, sur une idée d'Alain Minc, annonçait la suppression de la publicité sur France Télévisions. Celle-ci a été partiellement mise en œuvre depuis le 5 janvier 2009 (plus de publicité entre 20h00 et 6h00) et devrait être totalement effective en novembre 2011, si l'engagement pris est respecté.
Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites sur cette décision improvisée dont les conséquences, positives et négatives, n'ont pas été bien évaluées. Cependant, une question fondamentale a été jusqu'à présent relativement occultée : quel sera l'avenir de la régie publicitaire de France Télévisions, France Télévisions Publicité, une fois la publicité supprimée ?
En catimini et dans la précipitation, a été prise la décision d'ouvrir le capital de France Télévisions Publicité, dont 70% devrait être acquis par un groupe privé qui sera sélectionné au cours des prochaines semaines. France Télévisions conservera les 30% restant jusqu'en 2014, date à laquelle une nouvelle ouverture du capital pourrait avoir lieu.
A première vue, cette décision peut sembler logique : à partir du moment où les chaînes publiques sont censées ne plus avoir recours à la publicité, pourquoi conserver une régie publicitaire ? Pourquoi l'Etat se priverait des ressources financières issues de la cession de cette régie ?
Cependant, au-delà de ces préoccupations s'apparentant à du faux bon-sens, je pense au contraire que cette décision ne va pas du tout de soi et qu'il faudrait donc pouvoir en débattre.
France Télévisions Publicité constitue un actif stratégique pour l'audiovisuel public. La régie publicitaire apporte des ressources importantes au groupe France Télévisions : jusqu'en 2008, son chiffre d'affaires représentait près d'un tiers de celui du groupe. En 2008, alors que l'annonce de la suppression de la publicité aurait dû déprimer durablement les investissements publicitaires sur les chaînes publiques, elle a encore apporté 22,5% de ses ressources à France Télévisions. En 2009, alors que les prévisions de ressources publicitaires avaient été largement revues à la baisse pour prendre en compte la suppression de la publicité après 20h00 (autour de 260 millions d'euros), France Télévisions Publicité a obtenu des résultats très positifs et son chiffre d'affaires devrait finalement atteindre près de 400 millions d'euros !
Ces bons résultats peuvent s'expliquer par le fait que la régie publicitaire de France Télévisions a toujours cherché à innover dans un univers en mutation, marqué notamment par la baisse continue des audiences des chaînes du groupe France télévisions et l'émergence des chaînes du câble, du satellite et de la TNT. Grâce à la prudence et l'impulsion de Patrick de Carolis, France Télévisions Publicité a su mettre en place une stratégie commerciale efficace, reposant notamment sur une exploitation fine des synergies entre les chaînes publiques. Surtout, France Télévisions Publicité a mené une stratégie de diversification qui l'a conduit à intervenir non plus uniquement sur les quatre chaînes du service public métropolitain (France 2, France 3, France 4 et France 5), mais également sur des chaînes de télévision thématiques diffusées par câble et satellite (Euronews, Mezzo, Planète ou encore TV5 monde), sur des sites Internet et dans la téléphonie mobile.
Ainsi, France Télévisions Publicité a largement démontré son savoir-faire. Il est donc probable que celui qui, à l'avenir, gérera la régie du groupe public fera une bonne affaire et dégagera d'importants bénéfices. Pourquoi ces bénéfices quitteraient-ils le groupe public ? Pourquoi ne seraient-ils pas reversés à France Télévisions pour être réinvestis dans la production de programmes de qualité et le financement du cinéma français ?
Plus grave, à court terme, jusqu'à la suppression définitive de la publicité en novembre 2011, 70% des résultats de la régie seront versés à un groupe privé, qui tirera ainsi partie des recettes publicitaires du groupe public. Ces recettes publicitaires sont notamment tirées de la pertinence des programmes présentés sur les chaînes publiques, financées par la redevance. Ainsi, paradoxalement, c'est le contribuable qui, par le biais du financement de France Télévisions, enrichira un groupe de publicité privé !
Ce n'est pas acceptable et il faut donc s'opposer coûte que coûte à la privatisation de France Télévisions Publicité. Au contraire, je pense que France Télévisions Publicité a encore un rôle stratégique à jouer au service de France Télévisions et, plus largement, de l'ensemble de l'audiovisuel public.
En effet, en l'absence d'une augmentation de la redevance, France Télévisions devra certainement continuer à avoir des recettes commerciales, mais sous des formes différentes (parrainage d'émissions, programmes courts, cadeaux dans des jeux télévisés et, surtout, sites Internet des chaînes) et sur des nouveaux supports (téléphones mobiles, consoles de jeux ou encore lecteurs de livres numériques)
Plus largement, France Télévisions Publicité peut devenir la régie publicitaire de l'ensemble de l'audiovisuel et de l'Internet public. En effet, l'audiovisuel public ne se limite pas au groupe France Télévisions et France Télévisions Publicité dispose d'un potentiel de développement incontestable : Radio France, Arte, France 24, RFI, TV5, l'Institut National de l'Audiovisuel, la future bibliothèque numérique ou encore les sites d'information gouvernementale sont autant de sites publics qui comptent des millions de visiteurs et qui pourraient bénéficier des services de France Télévisions Publicité.
Pour conclure, il me paraît évident qu'une fois de plus ce ne sont pas tant les intérêts de France Télévisions qui prévalent, mais bien l'application du dogme des privatisations. Il ne faut pas en rester là. France Télévisions Publicité est un atout pour le service public et ne peut être un cadeau offert à quelques intérêts privés. Ne privatisons pas !