Encore un rendez-vous manqué pour Bruxelles, qui a annoncé la suspension de la notation des pays faisant l'objet d'une aide de l'Union avant d'y renoncer, estime Liêm Hoang-Ngoc, député européen (PS), membre de la commission des affaires économiques et monétaires.
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Les agences de notation servent théoriquement à évaluer le risque. Malheureusement, elles sont un très mauvais thermomètre des marchés, où règne avant tout l'incertitude. On sait depuis Keynes que ces derniers sont irrationnels et que le comportement des opérateurs, spéculateurs ou non, y est nécessairement moutonnier. C'est l'opinion dominante, autrement dit la mode du moment dans un concours de beauté, qui fait autorité. La Miss Monde s'appelait il y a peu Subprimes (dérivés de crédits hypothécaires). Sa cote était manifestement surévaluée. Elle fut notée AAA jusqu'à son accident de 2008. La Miss Europe du moment est austère. Dans le marasme vers lequel nous conduisent ces politiques, il n'est pas exclu que les marchés changent d'opinion à son endroit lorsque des gouvernements seront en mesure de prouver que des politiques anti-cycliques, faisant fi de la rigueur sur le court terme, sont de nature à relancer la croissance et à réduire à moyen terme les déficits grâce aux recettes fiscales occasionnées par une reprise consolidée.
Faut-il alors assujettir nos choix politiques au jugement des agences de notation? Cette question se posera inévitablement à la gauche en cas de victoire en 2012. Elle s'est invitée crûment en Grèce, en Espagne et au Portugal, où les gouvernements socialistes ont fait l'amère expérience du choix de l'austérité, soi-disant nécessaire pour éviter une dégradation de leur note. Elle a contaminé l'Italie de Berlusconi, dont le budget primaire dégageait pourtant des excédents affectés au désendettement et qui, malgré la destitution du «Cavaliere», ne parvient pas à réduire le coût du financement de sa dette publique.
Pour sa part, la Commission européenne a, une nouvelle fois, manqué de courage politique. Après avoir annoncé le 15 novembre 2011 la suspension de la notation des pays faisant l'objet d'une aide de l'Union, le commissaire Barnier a fini par retirer le lendemain même cette proposition, qui constitue pourtant le programme minimum d'un projet de réglementation des agences de notation. Dans les couloirs du Parlement européen, réuni en session à Strasbourg, où le commissaire français s'était arrogé quelques soutiens, la rumeur court qu'il aurait communiqué trop tôt, provoquant la réaction des agences de notations, qui ne manquèrent pas d'exercer une amicale pression sur d'autres membres du collège des commissaires...
On avait même, un temps, rêvé à la création d'une agence européenne de notation de la dette souveraine, réclamée par des rapports d'initiatives de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Car seule une telle agence, adossée à la cour des comptes européennes, disposerait des informations nécessaires pour évaluer la qualité des dettes souveraines et ce, en toute indépendance des intérêts privés ou partisans. Les agences de notations privées ne disposent pas de telles informations, portant sur le détail de l'élaboration des lois de finance. Elles n'ont pas plus les instruments nécessaires à l'évaluation macroéconomique de la conjoncture des Etats membres de l'Union européenne. Elles sont par ailleurs financées par des intérêts privés qui font d'elles le bras armé des politiques économiques qu'ils souhaitent voir menées par les gouvernements. En choisissant de ne rien faire, mis à part proposer la mise en concurrence hypothétique des agences, la Commission laisse, de fait, tout le pouvoir aux agences. Celles-ci sont devenues l'instrument de domination de la finance sur le peuple.
La faute n'en incombe pas seulement à l'absence de réglementation. Elle vient également du fait que les gouvernements eux-mêmes ont créé une prophétie auto-réalisatrice autour de l'idée qu'il n'est pas d'autre politique possible que les politiques d'austérité, pudiquement baptisées à Bruxelles politiques de «consolidation budgétaire». C'est l'incapacité de ces politiques à créer de la croissance, et donc les recettes fiscales nécessaires au désendettement, qui accroît l'incertitude qui règne sur les marchés financiers où, dès lors, le risque de détention des dettes souveraines s'accroît. Même en menant la plus drastique des politiques d'austérité, la France subirait la dégradation annoncée de sa note, car cette politique l'aura plongé plus encore dans la récession.
Quitte à perdre cette note, autant en profiter pour mener des politiques économiques anti-cycliques, plus que jamais nécessaires dans la conjoncture actuelle. En attendant que d'authentiques pragmatiques s'attaquent un jour en Europe au pouvoir des marchés, notamment en ayant recours à l'arme de dissuasion, dont disposent les Américains et les Britanniques, qu'est la monétisation des dettes souveraines par la banque centrale.