Billet de blog 20 juillet 2010

Richard Rossin

Ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins du Monde

Abonné·e de Mediapart

Dernières nouvelles du Darfour

Alors que les juges de la Cour pénale internationale viennent d'ajouter le génocide aux charges retenues contre le président Omar El Bechir, le Mouvement de libération du Soudan sera-t-il enfin entendu dans sa demande d'un Etat démocratique, fédéral et laïc, s'interroge Richard Rossin, ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins du Monde.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Alors que les juges de la Cour pénale internationale viennent d'ajouter le génocide aux charges retenues contre le président Omar El Bechir, le Mouvement de libération du Soudan sera-t-il enfin entendu dans sa demande d'un Etat démocratique, fédéral et laïc, s'interroge Richard Rossin, ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins du Monde.

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On avait pris l'habitude de ne pas entendre parler du Darfour, puisque rien ne change et que les massacres continuent dans le silence. Au mois de mai, il y eut bien sûr des dizaines de morts dans des attentats terroristes revendiqués, mais il y eut aussi six cents morts dont la revendication n'est même plus indispensable : celle d'Omar El Bechir, le premier président en exercice sous mandat d'arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI). Ces massacres continus n'avaient pas empêché la communauté internationale de se précipiter aux festivités de son intronisation dans des élections tellement truquées que tous les observateurs avaient abandonnés les lieux, même Jimmy Carter !

Les règles de l'ONU n'interdisent-elle pas à ses membres de rencontrer quiconque est inculpé par la CPI ? En pure logique, Ban Ki Moon, qui a envoyé à Khartoum une délégation, devrait au moins démissionner !!

Mais l'ONU a pour vocation première la Paix, pas la liberté mais seulement la paix et à tout prix, même au prix des massacres ; ainsi donc la paix est au prix de négociations et c'est ce qu'on demande aux darfouris, au prix de leur liberté et sans condition. C'est la victoire posthume de Daladier. Je fus pourtant à une réunion avec les cinq représentants du conseil de sécurité des Nations Unies pour le Darfour et ceux de l'ONU et de l'Union Africaine le 20 mars 2008 et il fut conclu qu'il ne pouvait y avoir de négociations sous les bombardements et d'accord éventuel sans garanties internationales. Mais rapidement, sans respect de ces conclusions, des pressions importantes ont été exercées sur Abdul Wahid al Nour, président du Mouvement de Libération du Soudan, pour qu'il rejoigne le processus de Doha dont on connaît les résultats. En dehors des groupes créés pour l'occasion, le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM), acculé à signer par la défection de son soutien tchadien, fut bombardé et son chef, poursuivi par Béchir, dut trouver refuge chez le colonel Khadafi. Pouvait-on rester sur un tel échec prévisible ?

Al Nour a toujours déclaré être le premier intéressé par la paix, puisque ceux qui souffrent sont les siens, mais une paix réelle, notamment fondée sur la liberté et l'égalité de droit des citoyens. Il a toujours affirmé qu'évidemment, le préalable est l'arrêt des bombardements des villages et des exactions incroyablement violentes contre les citoyens. Il faut bien reconnaître que c'est l'armée soudanaise et ses supplétifs qui bombardent, massacrent, violent puis installent sur les terres ethniquement nettoyées des colons dits «arabes» et qu'on peut difficilement exiger des rescapés qu'ils négocient en négligeant ces atrocités... Pendant que Béchir tue et expulse, les Nations Unies nourrissent et parquent dans des camps, offrent la vie mais sans vision d'avenir. Al Nour est prêt à s'exprimer à Doha.

Rien n'a changé mais on doit au médiateur Djibril Bassolé et au ministre qatari des affaires étrangères, Al Mahmoud, dont le petit pays est coincé entre Iran et Arabie Saoudite, d'avoir relancé l'initiative en écoutant Al Nour qui a confirmé son intérêt permanent pour la paix si les conditions s'y prêtent et si l'on cesse les pressions inefficaces sur lui. C'est devenu un grand évènement médiatique salué par le landernau diplomatique qui connaissait pourtant tout ceci depuis longtemps et ne voulait en tenir compte.

C'est un espoir, si la communauté internationale prend la mesure des faits et des fondements politiques du conflit, des intervenants et des valeurs en cause.

Deuxième évènement : les juges de la CPI ajoutent aux lourdes charges qui pèsent sur Omar El Béchir celle de crime de génocide, c'est-à-dire le massacre délibéré et systématique de populations. N'était-il pas clair, en bombardant systématiquement des villages et en envoyant des supplétifs armés pour achever le travail puis en redistribuant les terres spoliées, que cette nouvelle inculpation devait inévitablement tomber sur le président soudanais ? Pourtant, pendant longtemps, certaines organisations humanitaires et certains experts du Soudan ont occultés le débat sur ce mot ; j'ai même entendu un ministre m'assurer que nous nous étions « fait avoir » et qu'il n'y avait pas de génocide... En réalité, le président élu par un coup d'Etat militaire qui en était à plus de vingt ans de tyrannie (et plus de deux millions de morts dans son jihad au Sud Soudan totalement occulté) n'a que faire de la CPI et il avait déjà cyniquement, avant d'être inculpé lui-même, promu son féal Haroun (poursuivi par la même Cour pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité) responsable de l'action humanitaire au Soudan... sans évidemment la moindre réaction internationale. Nous devons à l'incroyable pugnacité et au courage du procureur Occampo ces inculpations de Béchir.

Alors Scott Gration, l'envoyé spécial du président Obama pour le Soudan, n'est pas content de la Cour. Curieuse réaction pour un démocrate qui devrait respecter un jugement émis par un tribunal. Mais l'homme, qui a tout fait pour diviser les mouvements de résistance, afin peut-être de les obliger à négocier avec leur bourreau, n'y voit sans doute qu'une atteinte à son autorité impériale. Espère-t-il que le Soudan aille rompre son récent accord militaire avec la République islamique d'Iran ? Va-t-il finir par entendre Al Nour dans son désir d'un Soudan démocratique, fédéral et laïc ? Croit-il encore pouvoir empêcher la guerre méridionale qui s'approche à nouveau ? Déjà, l'entourage de Béchir clame que jamais il n'acceptera une indépendance du Sud-Soudan, quels que soient les résultats du référendum d'autodétermination prévu pour janvier 2011, dans cinq mois. Encore une fois Béchir s'apprête à ne pas respecter sa signature.

Qu'est-ce qui fait qu'entre un tyran sanguinaire et un mouvement prêt à tout pour la paix, la liberté et la démocratie, on ne sache pas faire la différence ?

Dans tous les cas, la Cour a jeté le mot et personne ne peut plus dire qu'il ne savait pas que le premier génocide du XXIe siècle se déroule sous nos yeux.

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