Billet de blog 21 janvier 2011

Bertrand.Monthubert
Mathématicien, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche
Abonné·e de Mediapart

Conflits d'intérêts : tous coupables ?

La protection de l'indépendance et du statut des chercheurs est indispensable à la levée des conflits d'intérêts, relève Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche. Tout le contraire de la politique mise en œuvre par le gouvernement.

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La protection de l'indépendance et du statut des chercheurs est indispensable à la levée des conflits d'intérêts, relève Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche. Tout le contraire de la politique mise en œuvre par le gouvernement.


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L'affaire du Mediator n'en finit pas de semer la consternation. Alors que les rapports de dépendance entre les laboratoires publics de recherche et les entreprises pharmaceutiques explosent, il était temps de pointer du doigt les dangers d'une collusion qui peut avoir pour conséquence de mettre en péril la vie des gens.

Lors de ses voeux au monde la santé, le 20 janvier 2011, Nicolas Sarkozy a appelé à une «refondation en profondeur de notre politique du médicament». Voilà une belle déclaration, mais elle n'est pas crédible : sa politique conduit justement à renforcer les risques de conflits d'intérêts. Le 26 octobre 2009, il recevait les entreprises pharmaceutiques, et leur offrait des perspectives : il s'agissait d'augmenter fortement les financements de laboratoires publics par les entreprises pharmaceutiques, avec pour conséquence une dépendance accrue. Tout le contraire de ce dont la société a besoin. Nicolas Sarkozy est-il prêt à changer de politique ? Personne ne le croit.

Quant aux conclusions que tire Xavier Bertrand du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales, elles ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Il préconise d'imposer une meilleure transparence sur les liens financiers entre les experts et les entreprises pharmaceutiques. Mais cette «transparence» est illusoire : les modalités d'influence des entreprises pharmaceutiques sur les chercheurs ne se cantonnent pas à ce qui ressort sur une déclaration relative aux conflits d'intérêts.
La question des conflits d'intérêts en matière scientifique est à la fois cruciale et complexe. Qu'est-ce qu'un conflit d'intérêts ? C'est la situation dans laquelle se trouve une personne chargée de prendre des décisions, ou de donner un avis censé être éclairé et objectif sur un sujet donné, alors qu'il a un intérêt dans le fait d'orienter cette décision ou cet avis de façon subjective. On pense immédiatement au cas d'une personne rémunérée par une entreprise, et c'est ce qui est mis en exergue aujourd'hui. Dans l'article de Mathilde Mathieu et Michaël Hajdenberg sur les liens entre les membres de la commission d'autorisation du médicament et les entreprises pharmaceutiques, on a des exemples concrets de ces rémunérations directes. Mais le conflit d'intérêt peut être beaucoup plus diffus. Il n'est pas nécessaire de percevoir une rémunération directe : ce qui est central, c'est la question de la dépendance des laboratoires publics.

Avant tout, il faut rappeler qu'il est normal, et utile, que des laboratoires publics aient des relations avec des entreprises privées. Cela a pu conduire à des avancées scientifiques majeures, comme dans le domaine de la magnéto-résistance géante, le domaine de recherche qui a valu le Prix Nobel à Albert Fert pour ses travaux développés dans le cadre d'un laboratoire commun entre le CNRS et Thalès. Toute la question est de savoir quelle est la nature de cette relation : relation partenariale, chacun gardant sa complète indépendance, ou relation de dépendance ?

Pour avoir des experts exempts de conflits d'intérêts, il ne suffit pas de leur faire remplir des déclarations sur l'honneur. Il faut que le système de financement des laboratoires protège leur indépendance. Il faut aussi que le statut des chercheurs les protège : c'est le rôle du statut de fonctionnaire. Or la politique de la droite se caractérise par une forte réduction des budgets de base des laboratoires publics, ces crédits octroyés, en fonction de l'évaluation, par les organismes de recherche et les universités. A ces crédits se sont substitués des financements obtenus sur contrat de recherche, publics ou privés. Des contrats de court terme, maintenant chacun dans la crainte d'une baisse de ses moyens de travail. Les emplois scientifiques de fonctionnaires sont en stagnation voire en baisse, dans un contexte de développement mondial de la recherche.

Résultat, le nombre de chercheurs employés sur contrat de courte durée a explosé. Et nous avons là les bases de la dépendance. Les laboratoires, pour continuer à fonctionner, pour pouvoir embaucher des chercheurs ou éviter d'en licencier, ont un besoin impératif de ces contrats. Dès lors, que faire si lors d'un de ces contrats, on aperçoit une piste de recherche qui pourrait aller à l'encontre des intérêts de l'entreprise dont on dépend financièrement ? Faut-il la poursuivre, sans savoir où elle conduira, au risque de voir le contrat cesser avec l'entreprise, et de licencier les chercheurs précaires ? La politique de la droite a donc comme conséquence directe qu'il est quasi-impossible de trouver un expert qui n'ait pas de liens avec des entreprises pharmaceutiques ; mais surtout, ces experts sont pris en tenaille entre leur déontologie et les conditions matérielles de leur activité, qui sont parfois contradictoires.
Pour le gouvernement, il fallait manifestement aller plus loin encore pour favoriser le conflit d'intérêts. Avec sa nouvelle réglementation sur l'intéressement des fonctionnaires, il est désormais possible pour un chercheur de prélever une partie de l'argent d'un contrat pour se rémunérer. Une véritable aberration. Il n'est donc plus besoin pour une entreprise de rémunérer directement un chercheur : il suffit de faire un contrat avec son laboratoire, sur lequel le chercheur prendra son écot. Bon courage pour mettre à jour les conflits d'intérêts dans de telles conditions !
La question des conflits d'intérêts ne pourra pas se résoudre simplement par la «transparence» sur les liens financiers. Car tout le système actuel accroît ces liens, et surtout accroît les risques de dépendance. Il y a même un risque important de considérer les experts comme «tous coupables», alors que pour l'essentiel ils sont les otages d'un système pervers. Pour éliminer les conflits d'intérêts, il faudra une action beaucoup plus profonde sur les modes de financement de la recherche publique. Les laboratoires doivent gagner leur liberté d'initiative, qui leur permettra aussi bien de travailler avec une entreprise que de révéler les dangers éventuels d'une technologie ou d'un médicament que celle-ci développe. Cela signifie, concrètement, qu'elles doivent recevoir un budget de base suffisant, hors contrats, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Mais il faut aussi que les chercheurs aient un statut qui les protège des conflits d'intérêts, et les engage vis-à-vis de la société : le statut de fonctionnaire n'est pas un confort, c'est une condition nécessaire de l'indépendance vis-à-vis des intérêts privés, quels qu'ils soient. Et ce statut doit exclure les mécanismes d'intéressement, contraires à l'intérêt public. Au moment où Nicolas Sarkozy prétend vouloir refonder la politique du médicament, un des députés de sa majorité a présenté une proposition de loi visant à restreindre le statut de fonctionnaire aux fonctions régaliennes, dont la recherche ne fait pas partie : une attaque de plus contre l'indépendance des chercheurs.
L'affaire du Mediator met ainsi en lumière les risques énormes que font peser les politiques actuelles, qui aggravent la situation au lieu de répondre aux exigences morales. Aux Etats-Unis, des scandales comparables ont éclaté en raison des liens étroits qu'entretiennent certains chercheurs avec des entreprises, et un tournant a été pris. Il est encore temps d'empêcher le développement de ces pratiques contraires au bien public. Mais pour cela il faut d'urgence réformer la politique de recherche ; ce n'est pas une question qui intéresse les seuls chercheurs : c'est un enjeu pour toute notre société.

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