Billet de blog 22 avril 2010

Richard Rossin

Ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins du Monde

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Au Darfour : le bal des hypocrites

Le Soudan a annoncé jeudi 22 avril, une semaine après la fin des élections générales, le report à la semaine suivante de la publication des résultats. Ecrivain, ancien secrétaire général de Médecins Sans Frontières et co-fondateur de Médecins du Monde, Richard Rossin dénonce le maintien au pouvoir du président Omar El Béchir, inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Un policier surveille les urnes à Juba, au Sud-Soudan, le 16 avril 2010. © Goran Tomasevic/Reuters

Le Soudan a annoncé jeudi 22 avril, une semaine après la fin des élections générales, le report à la semaine suivante de la publication des résultats. Ecrivain, ancien secrétaire général de Médecins Sans Frontières et co-fondateur de Médecins du Monde, Richard Rossin dénonce le maintien au pouvoir du président Omar El Béchir, inculpé pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

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Voilà c'est fait, la communauté internationale permet à l'inculpé Omar El Béchir de se légitimer par des élections complètement truquées. Etrange mise en application du droit international : le procureur Occampo, de la Cour pénale internationale (CPI), saisie par cette même communauté internationale, avait le 4 mars 2008 inculpé et lancé un mandat d'arrêt international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité contre le Président soudanais. Une première contre un président en exercice, c'était une grande avancée pour la Justice.

D'abord, il y a eu le « processus » de Doha. Mais n'y aurait-il pas eu à s'interroger sur ce que signifie, à l'égard du « néocolonialisme », la volonté d'imposer à ceux qui se battent pour leur liberté, notre propre vision ? En imposant une mascarade de conférence de « paix » à Doha, où des acteurs de partis d'opposition on été contraints de se rendre.

Il en est même, ici, dans nos ministères, qui, après avoir publiquement regretté que Béchir ne bouge pas d'un pouce, s'interrogent sur « l'entêtement » d'Abdul Wahid Al Nour, président du Mouvement de libération du Soudan (SLM), à ne vouloir s'y rendre malgré leurs pressions plus qu'insistantes. On lui demande simplement, d'abord de délégitimer son combat, puis de se décrédibiliser lui-même, belle manipulation : plus de combattants donc plus de guerre, juste le silence au-dessus des cadavres...

Des femmes et des hommes combattent pour un Etat démocratique et laïc, d'où leur refus de toutes ces gesticulations politiciennes. Il est facile de comprendre leurs aspirations, car après 300.000 morts et plus de 2,7 millions de réfugiés et déplacés (cf : Rapport ONU 2008), ils sont mieux à même que nous de choisir leurs objectifs ! Et ceux qui soutiennent que le SLM se trompe de combat et de camp, n'adressent-ils pas comme message que les luttes pour la démocratie et la laïcité ne sont plus de bons combats ? Ne devons-nous pas nous interroger sur cet entêtement à vouloir maintenir à tout prix un dictateur sanguinaire en place ?

Serions-nous devenus complices ? Doit-on accuser Zola de nous avoir fait croire qu'on pouvait faire émerger la vérité et la justice avec des mots ? J'accuse Ban Ki Moon, après Kofi Annan qui avait déclaré que « le Darfour, c'est l'enfer sur terre », de persévérer dans cette erreur qui consiste à croire que la paix puisse être sans la moindre justice, d'accepter de voir diluées les responsabilités des Etats dans des résolutions inutiles puisque sans effet... et de présenter les réelles actions humanitaires en cache misère des indigences politiques. En somme, un enfer pavé de bonnes intentions...

Est-ce qu'au regard de l'islam et de son texte fondateur, le Coran, il est permis à un musulman de massacrer d'autres musulmans au nom de leur négritude (à méditer, la Sourate V verset 32) ? Pourquoi donc les dirigeants des pays musulmans se taisent-ils et quelles influences ou pressions exercent sur eux leurs alliés ?

Bush avait invoqué la démocratie en intervenant en Irak tout en « oubliant » d'agir au Darfour. Le prix Nobel Obama ne fait que suivre cette voie en envoyant Scott Gration, nommé en mars émissaire spécial, fermer les yeux sur les exactions gouvernementales et s'activer à diviser les groupes de résistants à la manière, autrefois, du représentant Natsios qui, en novembre 2007, après l'échec des accords d'Abuja, incapable de faire fléchir les bourreaux, avait menacé les victimes de sanctions.

Ces messieurs ne cessent de recommencer les mêmes erreurs et comme à Abuja, ils font apparaître le Mouvement pour la justice et l'égalité (JEM). Mouvement islamiste armé puis lâché par le Tchad en raison d'une récente entente avec le Soudan, il est de plus affaibli par l'incarcération à Khartoum des deux demi-frères de son président. Comment peut-il ne pas signer, surtout avec la promesse d'une vice-présidence ? Que reste-t-il de ce vague accord en onze points ? Un accord vide mais surmédiatisé avec des signataires obligés ou créés pour la circonstance juste avant des élections au Soudan. La résistance du SLM paraît donc plus claire.

Des élections tellement orchestrées que les autres candidats d'un peu d'importance ont retiré leurs candidatures et que la mission de contrôle européenne a plié bagages devant les menaces et l'impossibilité de réaliser sa mission. Et dire que même ces fonctionnaires n'en peuvent plus. Pourtant nous avons entendu clamer avec satisfaction que ce furent les premières élections depuis 24 ans, depuis la prise du pouvoir par les armes des militaro-islamo-affairistes de Béchir !!! Même son ami et ancien président américain Jimmy Carter reconnaît qu'il y a eu beaucoup d'irrégularités...

Que l'on veuille faire plaisir à l'Emir du Qatar mais jusqu'à quel prix, car il n'y a pas souvent d'acte gratuit entre pays ? En France, c'est l'Elysée qui « gère » le dossier et il est malaisé de voir un Bernard Kouchner, dont on a pu saluer tout au long de sa vie le courage et la générosité, couvrir cette mascarade qui ne peut être le fruit de sa pensée. Notre cher Président qui, lorsqu'il était candidat, plastronnait que les humiliés du monde le trouveraient à leur côté, a depuis fait siens les propos de son prédécesseur qui aurait déclaré que les promesses n'engagent que ceux qui y croient.

La realpolitik ne peut même pas être invoquée car nos échanges avec le Soudan tant économiques que technologiques et bien sûr culturels frisent le zéro absolu.

Bref, la Patrie des droits de l'Homme et des valeurs universelles ne se contente plus de ne pas soutenir ceux qui partagent ces valeurs mais elle le fait sans bénéfice, pire elle va jusqu'à les piétiner par manque de courage politique au cœur du concert des Nations. Nos élites ont crié « plus jamais ça » mais les massacres continuent. Maintenant les hypocrites nous applaudissent.

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