Alexis Girzonas, 21 ans, étudiant en science politique à Nanterre, nous a adressé ce témoignage en forme de coup de gueule contre les difficultés quotidiennes auxquelles peut se heurter une personne à mobilité réduite. Ce jeune conseiller municipal (PS) de Ville d'Avray (Hauts-de-Seine) s'est trouvé aux prises avec la RATP.
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Après une semaine d'hésitations, je me décide enfin à vous raconter l'incident qui m'a opposé à la RATP le 4 octobre dernier, concernant l'accessibilité aux personnes à mobilité réduite dans l'une de leurs gares.
J'ai la chance de trouver encore la force de dénoncer après toutes ces années. Alors, à travers ma «voix» qui s'exprime, c'est aussi celle de ceux qui n'ont pas cette chance. D'emblée, je précise que je ne citerai pas le nom de cette gare car ma démarche, à travers ce témoignage, n'est pas de pointer un endroit en particulier. D'abord, parce qu'il y en a (malheureusement) beaucoup d'autres comme celui-ci. Ensuite parce que mon but est avant tout d'alerter de façon globale sur les problèmes d'accessibilité qui perdurent dans les lieux publics et qui conduisent à rencontrer des situations absurdes.
Je fais ce triste constat alors que dans moins de cinq ans et conformément à la «loi Handicap» du 11 février 2005, tous ces lieux devront être accessibles. Autant vous dire que notre pays est encore loin, très loin de cet objectif.
Actuellement étudiant en Master I de science politique dans une université parisienne, je me déplace en scooter électrique. Le Crous finance mon transport pour la fac, conformément à la mission qui est la sienne. Toutefois, pour des raisons pratiques et aussi parce qu'il m'importe de développer mon autonomie personnelle, il peut m'arriver, comme ce fût le cas cette semaine, d'utiliser les transports en commun.
Habituellement, cette gare n'étant pas accessible, j'ai pris l'habitude de solliciter des passagers pour m'aider à monter ou descendre les escaliers. Il faut ensuite porter mon fauteuil. Les agents de la RATP ne peuvent me venir en aide pour d'évidentes raisons de responsabilités que je conçois en tant que juriste. C'est la raison pour laquelle j'ai privilégié cette méthode depuis trois ans.
Lundi dernier, alors que je m'apprêtais une fois de plus à me débrouiller seul, j'achète mon titre de transport et me dirige vers l'interphone afin que l'on m'ouvre la porte d'accès aux escaliers, qui est élargie pour les personnes à mobilité réduite et les poussettes. Mon interlocuteur s'étonne de ma demande et fait un signalement aux agents RATP présents, lesquels finissent par me signifier leur refus de m'ouvrir la porte. Quelque peu surpris de cette attitude que je n'ai pas rencontrée les fois précédentes, je rappelle que j'ai le droit de voyager après avoir acheté mon ticket et que comme à chaque fois, je suis tout à fait disposé à dégager la RATP de sa responsabilité.
Peine perdue, puisque j'ai droit au discours officiel selon lequel la gare est en rénovation et par conséquent, durant les travaux, elle n'est pas accessible. Un ascenseur sera bientôt mis en service mais l'on est incapable de me donner des délais. Dès lors, je comprends que je n'ai qu'à attendre. M'interrogeant sur mon droit à voyager, on me signifie que je n'ai qu'à me rendre dans les gares les plus proches qui elles sont accessibles et représentent tout l'effort consenti par l'entreprise en matière de mise aux normes.
La RATP assume donc sans scrupule de priver ses clients d'accès à une gare desservant une université parisienne.
Voilà en quelques mots le résumé de cet incident qui m'a opposé à la RATP. Pourquoi en parler aujourd'hui? Tout simplement parce qu'il s'agit de la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Comprenez, cette porte qui reste close devant moi représente bien plus qu'une porte! A elle seule, elle est le symbole de toutes les autres que j'ai pu trouver fermées et que je trouverais encore fermées. Au début, je ne comprends pas. Je suis abasourdi et j'ai réellement l'impression que mes repères s'écroulent autour de moi. Tout d'un coup, ce n'est pas une simple colère qui m'envahit mais une rage qui sommeille en moi, enfouie depuis de nombreuses années. J'ai envie de crier mon incompréhension et ma rage contre cette société qui une fois de plus m'est apparue injuste.
Au delà du préjudice moral et personnel causé par cet événement, je suis en colère de constater que c'est plus globalement le droit à l'autonomie de la personne en situation de handicap qui est remis en cause. C'est en somme son droit à se déplacer librement en société, et donc son existence de citoyen à part entière, qui est contesté.
Pour moi, deux questions majeures restent en suspens :
- Pourquoi ce qui semble poser problème dans mon cas, en fauteuil roulant, ne gêne pas la RATP lorsqu'il s'agit d'un parent avec poussette? Un responsable que j'ai fait venir sur place me répond, sans rire, que c'est différent dans la mesure où l'enfant peut se lever pour être porté et que dans un second temps on porte la poussette! N'en est-il pas de même pour moi, comme je vous l'ai décrit plus haut?
J'envisage sérieusement de demander à la RATP d'interdire également l'accès aux poussettes afin de mettre fin à une situation plus qu'absurde! A moins que la réponse à cette question ne se trouve dans le fait que l'accès interdit à des parents avec des poussettes aurait des conséquences économiques et financières beaucoup plus importantes pour l'entreprise...
-Pourquoi m'a-t-on vendu un ticket si c'est pour ensuite ne pas me permettre de l'utiliser? Là encore, le responsable me signifie que l'on n'aurait pas pu refuser de me vendre un ticket dans la mesure où celui-ci pourrait être destiné à l'un de mes proches. Ce dernier argument me laisse perplexe.
Les questions que je me pose sont donc nombreuses et le sentiment d'injustice que je ressens me détermine dans mon combat à faire valoir mes droits et donner tout son sens à l'intitulé de la loi du 11 février 2005 «pour l'égalité des droits et des chances, pour la participation et pour la citoyenneté des personnes handicapées». Oui, et je ne pensais pas dire cela un jour, je pense que je vais encore me radicaliser dans «mon» combat.
De nombreux amis, à qui j'ai raconté ma mésaventure cette semaine, m'ont spontanément dit: «Que peut-on faire pour t'aider»? A eux et à vous tous qui me lirez, je veux simplement dire qu'il ne faut pas rester inactifs! Toutes et tous que vous soyez, citoyens, associatifs, élus, restez mobilisés et vigilants. Constatez tous les dysfonctionnements qui perdurent pour mieux les dénoncer. C'est aussi parce que nous garderons une vigilance de tous les instants que nous parviendrons à sensibiliser le plus grand nombre aux questions d'accessibilité.
Je sais que mon discours, qui se veut malgré tout optimiste, en déroutera plus d'un. Pourtant, je veux vous dire que ce combat est essentiel. Il l'est à plus d'un titre mais surtout parce qu'il invite et implique à s'interroger sur la société dans laquelle nous voulons vivre. Or, aujourd'hui dans une société de plus en plus individualiste, je reste convaincu qu'il nous faut défendre et repenser une idée du «vivre ensemble» que cette histoire malmène encore un peu plus. J'espère modestement que mon témoignage pourra y contribuer.