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Billet de blog 2 janvier 2009

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Les poires de Naples

A la suite de la série documentaire d’Arte autour de « l’Apocalypse », relire Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, apocryphe à la manière de Pascal Quignard, s’est imposé… pour avoir, en contrepoint, le témoignage ultime de la culture conquise.

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A la suite de la série documentaire d’Arte autour de « l’Apocalypse », relire Les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia, apocryphe à la manière de Pascal Quignard, s’est imposé… pour avoir, en contrepoint, le témoignage ultime de la culture conquise.

Quelles rencontres impératives la destinée réserve à ceux qu’elle veut perdre? Les attaques des barbares qui ont franchi le Danube ? Le triple dieu unique des chrétiens ? Ou la chance d’avoir goûté les poires de Naples, malgré le double mystère de la conception et de la mort qui fait l’hébétude des rêves ?

Se détache, dans l’éphéméride d’une patricienne qui note l’infime et l’intime, l’inouï du quotidien : « Une toison deux fois plongée dans un bain de murex » ; ou : « Il me prend la tête dans les mains. Il a les mains qui sentent le quartier du Transtévère ». Après que les empereurs se placent sous le signe de la croix, alors que les diverses tribus de Germanie chevauchent et campent où bon leur semble, un monde glisse derrière l’horizon, d’où aucun soleil cette fois ne remontera: « Le vert-de-gris ronge le casque d’Hector. Quelques millénaires. C’est une petitetouffe d’herbe verte sous les murs de Troie ».

Pour Pascal Quignard, le style est un stylet, l’incise une incision… Le nom des choses ou des personnes se pose comme un insecte ailé, comme un pétale… avec son secret de désir et de nostalgie… Le nom effleure et dévore. Le nom de la chose la plus ordinaire se condense en lettres de cendre ou de sable ; tandis que le temps s’éloigne jusqu’à former une buée du monde lui-même : « Quand elle meurt, Symmaque est mort, Alaric est mort, Augustin et Jérôme ont cessé depuis longtemps d’écrire de leur main ; ils sont assis dans leur chaire, le dos de plus en plus droit ; ils dictent infatigablement à un petit « librarius » teuctère ou vandale qui est assis à leur pieds ».

Car dans les mots inscrits sur la pellicule de cire des tablettes, il y a la cendre des époques jetées au vent et la chair impérissable des poires de Naples …

Pascal Quignard, Les tablettes de buis d’Apronenia Avitia, Gallimard, collection « L'Imaginaire » 212 ; et toute l’œuvre en folio, notamment Les petits traités, 2976 et 77.

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