Si d’aucuns parlent de grève, ou de rêve - Franck Venaille nous rappelle que le mot d’ordre serait plutôt, depuis cette nuit des temps qui fait le jour : « crève » générale !… avec les nuances marbrées qui vont de l’indisposition fiévreuse à la danse macabre elle-même…
Depuis Journal de bord (1961) et Papiers d’identité (1966) jusqu’à aujourd’hui : Chaos (2006) et ça (2009), il en va, pour lui, définitivement ainsi : « Je porte la folie du monde en moi »…
En fait, poétiquement, tout passe et se passe dans le découpage : vivisection et métrique. L’enjeu est d’abord formel : le nouveau lyrisme d’une nouvelle mythologie. Ouvrir l’espace littéraire au phrasé de Coltrane, au récit pictural de Monory, au montage cinématographique, aux inscriptions publicitaires dans la nuit urbaine… La mise en scène la plus calculée pour l’irreprésentable que sont le cri et la chute…
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De la poésie du vécu (les mégots collés au plafond d‘une chambre d’hôtel à Montpellier) au vécu de la poésie (avancer dans l’excès du langage). De la transcription du réel à la recherche d’une présence masquée, que les mots eux-mêmes taisent… « Mourir plusieurs fois ! /C’est un contrat étrange avec le monde »….
Toute tentative échoue, heureusement : même celle du suicide ! (comme le note Georges Mounin dans son étude du volume 245 de la collection « Poètes d’aujourd’hui, chez Seghers)… Puisqu’il n’y a de vérité que là, Franck Venaille expose le cadavre. Parce qu’écrire est cette exposition de l’état du mort, et bizarrement un mort en mouvement ! Et que son empreinte, son négatif dans le suaire, serait justement « ça » : la poésie ; une résurrection, à l’extrême, de la perte absolue, jamais jouée :.
« Pleurnicherie d’âme souffrante, on connaît
On naît. On fornique. On crève (merci Shakespeare).
La peur lui ronge le corps. Le jour le fait frissonner. Il se méfie de la nuit.
Va-t-il cette fois encore s’en sortir ? ».
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Franck Venaille retourne le « méta » sur « l’infraphysique ». La douleur. Le resserrement de l’angoisse. La plongée corpusculaire comme la seule forme d’être permanente, car jamais elle ne s’achève : nous glissons dans cette mort infinie, inatteignable, avec toujours un visage retrouvé, toujours un autre visage vide qui nous défigure et nous sauve…Mais il en va toujours ainsi : « les mots de la poésie il faut aller les chercher au centre du ring, sous le tapis ou contre les cordes »..
Et il y a toujours le gris d’un mur - les graffitis obscènes - les lambeaux d’affiches - et la tache aveuglante du soleil, brûlant l’œil, et tu crois qu’elle a dissous le mur ; et surtout la trace que ne laisse pas le corps quand il s’y heurte, l’ongle quand il s’y arrache..
Il reste une vie, qui est la vie du temps : ce passage du temps dans le corps qui passe dans le temps. Que « ça ». La Chose. L’Ailleurs. Ce qu’ici je suis. « Aller chercher la poésie loin/Très loin »..
Et il reste un stade de banlieue, coincé entre le périphérique et les baraques du Marché aux Puces, comme à l’époque du Red Star - l’étoile rouge du sang perdu de toutes les révoltes, magnifiques de leur dérision même…L’Apprenti foudroyé, poèmes 1966/1986, Editions Ubacs, 1986
Capitaine de l’angoisse animale : Obsidiane/ Le temps qu’il fait, 1998
Le Tribunal des chevaux : Gallimard, 2000
Algeria : Leo Scheer, 2003 (Caballero hôtel (1974) + La Guerre d’Algérie (1978) + Jack to Jack (1981)
Hourra les morts ! : Obsidiane, 2003
Chaos : Mercure de France, 2006
Ça : Mercure de France, 2009
Franck Venaille par Georges Mounin : « Poètes d’aujourd’hui », Seghers, 1982
Franck Venaille : revue Europe, juin-juillet 2007