S’il est un phénomène politique de grande ampleur aujourd’hui, c’est le populisme. Répandu dans toute l’Europe sous des formes diverses, il renvoie en chaque cas à un malaise économique croisé avec un malaise culturel. Il est expression d’une crise qui déstabilise de large couches sociales, les prive de leurs ressources habituelles et les braque sur l’impôt ; mais il exprime surtout et plus encore la réaction à une immigration vécue comme dépossession de l’espace national. À l’arrivée, cela donne une terrible scission entre gouvernés et gouvernants et l’exigence d’une démocratie directe mal définie avec identification éventuelle à un leader providentiel (pour l’Italie Beppe Grillo et son mouvement des cinq étoiles). À quoi les partis traditionnels n’ont guère d’autre réponse que le recours à des alliances de la droite et de la gauche qui ne sont ni chair ni poisson. Alliance effective en Allemagne, imaginaire en France mais pour combien de temps ? De là que le populisme soit présent en chaque coin d’Europe, un populisme de droite le plus souvent, mais qui puise une part de ses adhérents dans un “peuple de gauche” dont il structure vaille que vaille les phobies diffuses.
Spécialiste de l’innovation politique, Dominique Reynié propose aujourd’hui une analyse serrée et bien documentée de ce phénomène européen dans Les Nouveaux populismes aujourdhui, qui reprend en format de poche un Populismes, la pente fatale paru en 2011. Et Reynié de pointer d’entrée de jeu un populisme patrimonial, très différent des populismes du XIXe siècle (le boulangisme en France par exemple) et de mettre l’accent sur les deux thèmes majeurs qui l’animent et qui en langage simple se disent : “on ne vit plus comme avant” et “nous ne sommes plus chez nous”. Tout cela allant de pair avec le fait que les populations de souche vieillissent et s’anémient. Au milieu du siècle, y aura-t-il encore des Allemands en Allemagne ? Et que devient l’Angleterre si beaucoup de natifs quittent leur île pour s’installer ailleurs ? Existe ainsi une peur largement répandue qui tend à alimenter le désir de repli sur soi, à surestimer la présence de l’Autre sans voir que cet Autre, venu du bassin méditerranéen et d’Afrique, est désormais “la jeunesse du monde”.

Très sociaux à leur façon, les populismes, que Reynié passe méthodiquement en revue, ont un fort “étymon commun” mais connaissent cependant des variétés “régionales”. Ainsi, dans l’Est européen, ils prolongent les partis comunistes, ce qui se conçoit, tandis que, dans l’Europe du Nord, ils perturbent le règne de social-démocraties bien installées, ce qui est plus troublant. Par ailleurs, ces populismes sont hostiles à la Communauté européenne à dominante libérale sans par ailleurs récuser la société de marché. Si Reynié ne s’interroge pas sur ce qu’ils reprennent des fascismes du siècle précédent, il relève avec raison que, dans leur mise à jour, le thème antisémite a largement disparu. Ainsi, au FN français, le tournant “patrimonial” veut que les stigmates de l’extrême droite soient gommés ou dilués. Et ce alors que la fille du père ambitionne de créer un groupe puissant au Parlement européen avec des alliés douteux.
C’est encore à bon escient que l’auteur insiste sur la bonne convenance entre médias et populismes. Et lui qui est volontiers présent sur le petit écran note dans une belle envolée : “sans les médias, les imprécations et les dénonciations populistes ne seraient rien d ‘autre que des gesticulations inaudibles. Les médias forment le parlement sauvage du populisme” (p. 344-45). De fait, la rhétorique populiste jouant sur l’émotionnel passe bien à la télévision comme elle atteint son but depuis de grandes tribunes, ce qui lui confère un fort pouvoir de contamination comme on a pu l’observer, et bien à regret, chez un Mélenchon ou même chez un Hollande dans son discours du Bourget. Mais cette rhétorique, il faut bien le voir, ne rapporte pas grand-chose à la gauche, une gauche qui ne peut plus guère compter sur les réflexes de classe dans une société où prévalent l’individualisme et les intérêts catégoriels. S’ils ne sont pas déclassés ou paupérisés, les gens choisissent d’eux-mêmes de se ranger dans une classe moyenne fourre-tout, qui n’a d’autre ennemi que le fisc et ceux qui votent les impôts.
Dans un dernier chapitre, Reynié se demande, à la façon de Lénine, que faire ? Et de revenir d’abord à cette réalité énorme qu’est l’immigration. Avec les problèmes qu’elle peut poser elle est là et bien là ; mieux, elle représente pour toute une part notre avenir. La question est donc celle de sa gestion et de la voie étroite entre deux solutions pareillement insatisfaisantes, soit l’intégration pure et simple, soit le multiculturalisme à la britannique. Mais la question est tout autant, pour l’auteur, celle du renouveau de la démocratie impliquant pour le moins une puissance publique européenne agissante et la lutte contre les abus des couches dirigeantes (corruption, évasion fiscale, salaires déments des managers).
Les Nouveaux Populismes est à lire sans retard. Il propose une grille d’analyse qui nous aide à déchiffrer notre quotidien politique et le fait avec une lucidité sans faille. C’est ainsi qu’il prend toute la mesure d’une énorme mutation et de ce qu’elle implique.
- Dominique Reynié, Les Nouveaux Populismes, édition revue et augmentée, Fayard, “Pluriel”, 2013. 9 €