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Billet de blog 22 mars 2009

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Apologie de Guy Béart...

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Il m’est apparu, lors d’un récent échange de commentaires sur Mediapart, qu’une référence à Guy Béart, dans une discussion sérieuse, prêtait à sourire…

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Certes, pourtant, le physicien Louis Leprince-Ringuet, dans son discours de réception à l’Académie française avait cité le dérisoire artiste de music hall en bonne part: «Tout au fond de moi je crois je crois / Je ne sais plus au juste en quoi » (« Qui suis-je ? ») pour expliquer où il en était avec lui-même et le monde. Mais, évidemment, l’Académie française, c’est beaucoup de vieux schnocks! La romance à papa, la romance à papy ! Ce n’est pas exactement ce qui s’écoute sur iPod, il semble…

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Tout de même. Il y aurait, comme ça, d’évidence, une sorte de « déclassement » a priori du chanteur de variété (pourtant, quel joli mot « variété »… le mot magique par excellence !)… Et l’idée d’une défense et illustration de Guy Béart me sera passée par la tête…

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Je bondis par-dessus L’eau vive, libre et insaisissable comme La Vouivre de Marcel Aymé (mis en musique pour Ah, quelle journée, La chabraque ou Le jardin d’Elvire), je vais directement au comptoir du Bal chez Temporel, paroles d’André Hardellet, ce piéton du merveilleux et de l’insolite, romancier du Seuil du Jardin salué par André Breton, ou de Lourdes, lentes frappé par la censure :

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« D’une rencontre au bord de l’eauNe reste que quatre initialesEt deux cœurs taillés au couteauDans le bois des tables bancalesSi tu reviens jamais danser chez TemporelUn jour ou l’autrePense à tous ceux qui ont laissé leurs noms gravésAuprès du nôtre ».

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La pure insoutenable sensation du temps qui passe et ne nous quitte pas… Et puis ce Tant de sueur humaine, étrange poème, qui se renverse et s’égrène à l’envers, signé Raymond Queneau, chanté a cappella (cf : L’instant fatal, La Pléiade, pages 136-137)…

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Car Guy Béart aime les jeux rythmiques, dans le texte même : le systèmes de rimes à l’assonance contraire de « Anachroniques / Les saltimbanques / Sont là / Salut / Salut nomades / Voici le monde / Qui vient / A vous » ; ou la comptine de Alphabet : « Un doigt doucement pointa / Sur le bouton du point A / aussitôt il est tombé / Un objet sur le point B… /… Z à son tour ne rata / Ne rata pas le point A » ;

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ou, dans Chandernagor, sur le mode de la ritournelle, la chute des comptoirs coloniaux de l’Inde en blason argotique du corps féminin aimé :

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« Elle avait elle avaitLe Pondichéry facileElle avait elle avaitLe Pondichéry accueillantAussitôt aussitôtC’est à un nouveau touristeQu’elle fit voir son comptoirSa flore sa géographie ».

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Et puis, en souvenir de sa mère, ces vers qui poignent au cœur, et qui ne dépareraient chez un Paul-Jean Toulet,

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« Pour une femme morte en votre hôpital

Je demande Dieu votre grâceSi votre paradis n’est pas ornementalDonnez-lui sa petite place……Cette femme a péché cette femme a mentiElle a pensé des choses vainesElle a couru souffert élevé deux petitsSi l’autre vie est incertaineEt si vous êtes là et si vous êtes sûrQue sa course soit terminée !On l’a mise à pantin dans un coin près du murDerrière on voit les cheminées » (Hôtel-Dieu)..Une mélancolie de grand fond. La vie, avec ou sans Rolex, nous frôle et nous passe A côté : Une voix m’a téléphonéPour me souhaiter bonne annéeNous sommes à PâquesPourquoi toujours chaqueFois l’on vient me souhaiterLa fête à côté ?A côtéToujours à côtéEn avanceOu bien regrettésNos bonheursSont d’hier d’ailleursOu d’’espérance……Je suis né j’ai pleuré j’ai riJe mourrai sans avoir comprisCe soir je décideEnfin mon suicideEt pour ne pas me raterJe tire à côtéA coté ».

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A l’instar d’un Nougaro, Guy Béart se lit, se récite….Mais aussitôt, le contraire, « c’est l’espérance folle / Qui cours et vole / Au dessus des toits / Des maisons et des places / La terre est basse / Je vole avec toi // Tout est gagné d’avance / Je recommence / Je grimpe pieds nus / Au sommet des montagnes / Mats de cocagne / Des cieux inconnus ».
N’oublions pas, surtout pas, ce bel hymne à l’individualisme du siècle naissant, à reprendre en chœur, il va sans dire, puisque rien n’est grégaire comme les égos : « Parlez-moi d’moi / Y’a qu’ça qui m’intéresse / Parlez-moi d’moi / Y’ a qu’ça qui m’donne d’l’émoi / De mes amours mes humeurs mes tendresses / De mes retours mes fureurs mes faiblesses / Parlez-moi d’moi / Parfois avec rudesse / Mais parlez-moi, parlez-moi d’moi », interprété en duo avec Jeanne Moreau (ce qui, selon certains avis, n’arrangerait pas le cas déjà pendable du dénommé !)…

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Il y a, dans les chansons de Guy Béart, c’est en tout cas mon point de vue, ce sensible dosage de fantaisie, voire de non-sens, d’émotion amoureuse, de chronique sociale (Mai 68, « chansonné », à contre-courant de l’époque, sous le titre moqueur Chahut-bahut)… et de veille spirituelle (eh oui, même ça !)… Les couleurs du temps, écrite pour Harold et Maud, la pièce jouée par Madeleine Renaud, en serait le « précipité » : « J’ai brossé les rues et les bancs / Paré la ville de rubans / Peint la tour Eiffel rose chair… / … La couleur que je porte c’est / surtout celle qu’on veut effacer… / … Et tes cheveux noirs étouffés par la nuit / Je les voulais multicolores / Comme un arc-en-ciel qui enflamme la pluie / D’aurore ».
Guy Béart, ne le nions pas, c’est un peu beaucoup le « gratouilleur » de guitare. Il pèse quoi, comparé au spectacle total, Madonna, Mike Jagger, ou le rap ? Pas de laser, pas de fumigènes, pas de danseuses clignotantes, pas de foule en délire.

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L’artisan besogneux (dans la suite de l’ingénieur des ponts et Chaussées ?), le pied sur une chaise, à la Brassens (un autre ancêtre, mais un classique, lui). Rien à voir avec les génies, comment dit-on, déjantés ? destroy ? tels qu’ils subjuguent d’une Star Académie l’autre…

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« Je ne suis plus depuis une paye / Dans le coup… / …Je n’ai même plus ma voie de garage / Au chômage»… qui, sous le thème du succès en perte de vitesse, joue à nommer une certaine maladie, avec l’élégance de l’ironie …

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C’est encore la bonne vieille manière du troubadour… Tout un âge, tout un monde morfondu. Guy Béart ? Il chante pareil au chevet d’un copain malade qu’à l’Elysées ou la Fête de l’Huma, ou dans une salle polyvalente, sinon dans une arrière-salle de bistrot, avec Antoine Blondin, Jacques Grello et une bande déconnante qu’encerclent les dives bouteilles…

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Car la chanson, c’est aussi, c’est d’abord, ce « moment fraternité », sous tous les cieux, quand les hommes se racontent la petite histoire qu’ils ont au cœur, qui leur fait mal quelquefois et bat plus vite, plus fort, de la simple envie de vivre…

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Et c’est pour rester un troubadour, qu’un des tous premiers, peut-être même le premier, pour échapper à l’emprise commerciale des « Majors », il a pratiqué l’auto production, sous son label « Temporel ». Quelque part à l’origine de la scène « alternative », ce ringard ?Voilà. Le sujet, certainement, « Guy Béart », semblera des plus spécieux. Valait-il ce détour ? Je m’interroge. Mais bon, ça m’aura fait plaisir. Et pourquoi dédaigner un plaisir ? La prochaine fois, s’il y en a une, à l’occasion, j’oserai pire, j’évoquerai Leny Escudéro…

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