
Le Peintre de batailles est un livre récent de l'écrivain espagnol Arturo Pérez-Reverte qui travailla longtemps comme grand reporter et correspondant de guerre, notamment en Bosnie.
C'est un roman philosophique à la construction éblouissante, un roman haletant et fascinant, une oeuvre profondément visuelle, associant le lecteur à la peinture de la dernière bataille que livre le héros dans l'intimité de son atelier.
Faulques, photojournaliste de guerre atteint par la maladie, abandonne ses appareils et s'isole dans une tour pour fixer la mémoire d'une vie, passée à parcourir les champs de batailles, sur une immense fresque, circulaire «comme un piège pour taupes folles». Il tente de s'y délivrer de sa nostalgie et de son angoisse et de s'exonérer de sa responsabilité et de sa culpabilité en cherchant à révéler la «géométrie» de ce chaos humain, oeuvre ambitieuse et d'autant plus difficile qu'une fissure apparaît sur le mur dont il doit intégrer la progression, imprévisible et inévitable.

La bataille de San Romano,Paolo Ucello
Arturo Pérez-Reverte se livre à une vaste interrogation philosophique et métaphysique sur le sens de la vie, sur la liberté et la responsabilité, la nature humaine et l'existence du mal , l'art et la technique...
Sa réflexion n'est pas nouvelle mais la manière dont il la conduit s'avère profondément originale.Sa pensée se porte, en effet, sur trois niveaux de réflexion qui s'enrichissent l'un l'autre, naviguant de la réalité de la guerre à la peinture des batailles, en passant par la photograhie de guerre, les deux dernières strates donnant, de plus, à l'auteur l'opportunité d'une approche photographique et picturale, technique et artistique, et d'une analyse critique passionnantes.
Arturo Pérez-Reverte développe son discours philosophique , en contrepoint, au travers de trois personnages : le héros, intellectuel et photographe aguerri, tourmenté depuis toujours par «la mélancolie du départ» et «l'énigme de l'arrivée», qui cherche désespérément à percer le mystère de ceux qui vont mourir , et ses deux opposés, Olvido, la compagne morte à ses côtés, et Markovic, le guerrier croate dont la photo, primée et largement diffusée, a anéanti la vie.

L'énigme de l'arrivée,Giorgio De Chirico
Olvido, l'amateur d'art, belle jeune femme rencontrée dans un musée, face à un tableau peint par «un obsédé des paysages de glace et de feu», représentant un volcan dont les flancs noirs laissent couler une lave incandescente, refusait de photographier les hommes, contrairement à son compagnon, car elle savait qu'on ne peut fixer l'éphémère et acceptait le destin imparti en vivant intensément.
Quant à Markovic, mécanicien autodidacte ayant affronté, lui, les combats de l'intérieur, initialement parti à la recherche de Faulques pour le tuer, il voit naître un désir croissant de comprendre avant d'accomplir sa vengeance.
Et l'auteur réussit à maintenir le suspense jusqu'à la fin, en dévoilant par bribes le mystère de la relation qui unissait Faulques à Olvido et en distillant avec art les apparitions du Croate qui, pour affiner sa compréhension, diffère son projet à chaque rencontre.

Le volcan Paricutin, peinture du docteur Atl
Au fur et à mesure que se complète la fresque, le va-et-vient entre les différentes strates et le croisement des dialogues du héros avec ses deux «symétriques» permettent d'avancer dans la réflexion et de rapprocher ces personnages contraires dans une certaine harmonie.
Et le lecteur semble même invité à participer, tant à l'élaboration du sens qu'à la peinture de la fresque. S'impliquant de manière croissante , ressentant jusqu'au grain du mur sous ses doigts maculés en étalant la couleur avec le peintre, il finit, à son image, par «entrer», apaisé, «dans le tableau».

Le triomphe de la mort, Brueghel l'ancien
El pintor des batallas, Arturo Pérez-Reverte, Santillara ediciones generales 2006
Le Peintre de batailles, traduction française de F. Maspero, Seuil 2007, et "Points Seuil", mars 2008 , 6 € 65
Critique publiée également sur :
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