Dix centimètres et demi sur quinze, et quatre-vingt millimètres d’épaisseur, soit 45 pages : ce livre durera le temps d’un aller pour les lecteurs rapides, et retour pour les plus lents, ou ceux qui savourent.Car, comment résister à un recueil de trois nouvelles intitulé « Le club des parenticides » signé Ambrose Bierce, grand maître en humour noir, voire macabre, étrange personnage dont on peut dire qu’il vécut souvent comme il écrivait ?Club des parenticides, donc, ouvrage salvateur à l’occasion, puisque rien ne tue aussi sûrement la pulsion criminelle que le rire. Ouvrage concentré et rebelle au résumé. Juste, ces deux phrases d’ouverture qui en donnent la couleur : « Une journée de juin 1872, au petit matin, j’ai tué mon père – cela m’a beaucoup marqué à l’époque. C’était avant mon mariage, alors que j’habitais chez mes parents dans le Wisconsin. » Ou : « Je m’appelle Boffer Bings. Je suis né de parents honnêtes, dans un milieu des plus modestes : mon père était fabricant d’huile de chien et ma mère avait un petit atelier à l’ombre de l’église du village, où elle liquidait les nourrissons indésirables. » ( inspiration première de Jean Christophe Averty ?)Le tout dans un monde policé, peuplé de compréhensifs préfets : « [il] sentit bien la pertinence de ces considérations : il avait lui-même une vaste expérience en tant qu’assassin ».Dans les années 1890, il n’était pas si anodin de s’en prendre au père. Dans l’échelle des crimes, le parricide, aux Etats-Unis comme en Europe, venait loin en tête devant, par exemple, le meurtre d’enfants.Mais Bierce, bitter Bierce, comme on le surnommait, hommage à sa plume acérée et à ses critiques décapantes, se permettait tout. Fils d’un calviniste austère mais un peu branque, qui avait choisi, pour ses treize enfants, des prénoms commençant par la lettre A, libéré de la vie familiale par la guerre de Sécession, et du coup à jamais méfiant envers la gent humaine, il aura essayé de gagner sa vie par tous les moyens, sauf l’écriture ( douanier, chercheur d’or), mais finit, à 26 ans, par devenir journaliste dans un contexte aventureux. Délation, diffamation, attaques personnelles, tous les coups sont alors permis contre l’ennemi du moment. La plume de Bierce est bien affûtée ; aussi ne se déplace-t’il plus sans revolver.
William Randolph Hearst, le modèle de Citizen Kane, en plein essor, l’engage. Le magnat penche pour les affaires, et l’ordre ( dans les années trente il virera supporter d’Hitler et Mussolini). Ambrose Bierce est un désordre vivant, un éternel locataire, peut mettre à genoux ( par écrit) un profiteur qui expulse des milliers de pauvres gens en ayant le toupet d’ensuite demander des aides de l’Etat ( plus ça change…) et le lendemain s’en prendre avec verdeur aux syndicats.
S’étant fait un nombre conséquent d’ennemis, il quitte la côte Ouest pour la côte Est. Sa vie de famille – celle qu’il a fondée – est un désastre. Son aîné se suicide en 1889, il divorce, son second fils meurt en 1901 des suites de son alcoolisme. La réédition de ses œuvres complètes n’est pas un franc succès.
Au revoir – et si tu apprends qu’on m’a collé contre un mur mexicain pour me fusiller, sache que je pense que c’est une bonne façon de quitter ce monde. Ca vaut mieux que le grand âge, la maladie, ou que de se casser la figure dans l’escalier de la cave. Un gringo au Mexique, ça, c’est de l’euthanasie ! Avec toute ma tendresse, Ambrose.
A la suite de quoi il rallia Chihuaha, Pancho Villa, et disparut, à hauteur de 1913.