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Billet de blog 29 mars 2009

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Quelques conversations au bord du silence...

Certains livres, par l’objet même qu’ils proposent, ne ressortissent-ils pas du « dandysme » ? Précieux, élégants, ornementaux, d’un temps qui n’est jamais celui-là, et pourtant magnifiques comme l’instant…

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Certains livres, par l’objet même qu’ils proposent, ne ressortissent-ils pas du « dandysme » ? Précieux, élégants, ornementaux, d’un temps qui n’est jamais celui-là, et pourtant magnifiques comme l’instant…

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Finitude, maison d’éditions bordelaise d’à peine sept ans d’âge, offre un catalogue original, avec « des livres oubliés à redécouvrir, des inédits d’auteurs plus ou moins célèbres et des œuvres de jeunes écrivains », où se côtoient Raymond Guérin, Georges Perros, Italo Svevo, Pierre Louÿs, Paul Gadenne, Georges Darien ou Jean-Pierre Martinet… Et en particulier, un Traité du cafard de Frédéric Schiffter (« C’est parce que le vis chaque journée, chaque heure, comme la dernière, que je passe mon temps au lit »), philosophe et surfeur…

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Sous ce label, après Produits d’entretiens, qui rassemblait des articles de presse consacrés à Valéry Larbaud, Henri Calet, Serge Gainsbourg, Jacques Chardonne, le Grand Jeu… et aussi Thierry Ardison , Rapaël Sorin présente, comme la suite, 21 irréductibles, une série de conversations, accompagnée de photos intempestives, avec quelques écrivains, parmi les plus rares, de ceux qui n’ont littérairement jamais cédé sur leur désir…

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Ainsi, on croisera tour à tour Georges Simenon ou Julien Green, Louis Calaferte ou André Pieyre de Mandiargues, Georges Schehadé ou Edmond Jabès, Gérard Macé ou… Roland Dumas (à propos de Roger Gilbert-Lecomte, pas les souvenirs de Mme Deviers-Joncour) ! Toujours dans cette typographie délicate et sous une couverture à larges parements…

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De l’ensemble, j’extrairai, selon un goût tout personnel, Yves Martin et Ghérasim Luca.

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Yves Martin (1936-1999), le colossal Yves Marin, « carburant » à la double Guinness comme Verlaine à l’absinthe…

clerc de notaire un beau jour licencié… qui faisait « bouillir son vin » entre deux cinoches X à Saint Lazare (il avait fondé le « Nickel-Odéon » avec Bertrand Tavernier et voyait tous les films de toutes les séries déclassées)… Parisien impénitent… œil terrible et amoureux… tout entier dans le titre d’un de ses nombreux recueils Le Marcheur : « Je suis le passant à la crête pimpante/ Avec des milliers de loustics,/ Des millions de bombes sur le zinc./ Difficile d’attraper mes ficelles. »… « On ne s’arrête pas fripé, rigolo,/ Devant les pamplemousses malicieux./ L’épicier pasodoble les clientes./ Les drames finissent sur un mot juste. »… « Je me vois assez dans quelques années,/ Roi bégayant des îles, pour fond de poche/ Le sable qui n’a ni haine ni durée/ Regarder à travers une svelte piquette/ Planter les pirogues, grossir les perles sous l’arbre mauve…/… On me retrouvera un jour mort sur le rivage/ Fragile comme mon ami le sorcier./ L’oiseau moqueur prononcera le palabre traditionnel./On me donnera pour aiguiser ma faim de toute l’éternité/ Les épices qui chantent, le feuilleté des chevelures. »… Yves Martin dont le secret se nommait « bouton d’or »…

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Et Ghérasim Luca

Autre roi bégayant ! Au sujet de qui Gilles Deleuze ne mégote pas : « Le plus grand poète français, mais justement, il est roumain, c’est Ghérasim Luca : il a inventé ce bégaiement qui n’est pas celui d’une parole, mais celui du langage lui-même »… Né à Bucarest en 1913, il appartient au groupe surréaliste (y a-t-il connu Benjamin Fondane, si cher à Patrice Beray ?) et vient s’installer à Paris en 1952, où il vit difficilement, publiant aux éditions du Soleil Noir puis chez José Corti et fréquentant des peintres comme Victor Brauner et surtout Jacques Hérold ; jusqu’à ce 9 février 1994, où, après un avis d’expulsion de son appartement, il se jette dans la Seine, ne possédant toujours pas de papiers : « son pays, c’est son corps ; son identité, c’est sa voix » (André Velter)… « Oiseleur de l’infini », ainsi que le dépeint Raphaël Sorin : « il a, de plus en plus, la fébrilité sûre d’un sismographe ou l’air d’un mage ». Et qu’ajouter aux propres paroles de Ghérasim Luca en conclusion de l’entretien : « Ma déraison m’a évité le pire. J’ai échappé à la corde. Jean-Pierre Duprey et Antonin Artaud, eux, ont payé la note. Stanislas Rodanski aussi ; il a choisi le théâtre de l’asile. S’il s’agit d’être un suicidé vivant, que ce soit vécu comme une fête plutôt qu’une défaite ». C’était en mai 1986.

Raphaël Sorin, Produits d’entretiens (2005) et 21 irréductibles (2009), Finitude.

Fréderic Schiffter, Traité du cafard (2007), Finitude et Le bluff éthique (2008), Flammarion

Yves Martin, Le Partisan, Le Marcheur, Manège des mélancolies (1996), La Table Ronde ; Les Rois ambulants(1996), Zulma ; Retour contre soi (1987), le Dilettante…

Ghérasim Luca, Héros-limite, Le Chant de la carpe, Paralipomènes (2001) Poésie/Gallimard ; Le Vampire passif (2001), Théâtre de bouche (1987), Levée d’écrou (2003), José Corti.

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