Aujourd'hui chacun s'interroge avec angoisse sur une montée du Front National et moi je repense à l'époque où on disait dans les manifs « Travailleurs français immigrés même patron, même combat »
En même temps dans les années 70, un peu partout il y avait des comités de soutien aux luttes des travailleurs immigrés sur les questions de logement, de travail.
Dans l'union Locale où je militais en tant que représentante de mon entreprise, il y exitait un collectif de soutien à une lutte de travailleurs immigrés menacés d'être expulsés de leur hotel du 15 ième arrondissement.
Dans les soutiens il y avait des jeunes de l'Ecole normale de la rue d'Ulm, des maoistes de diverses tendances, des cathos etc... tous ayant fait des études aux côtés des militants syndicaux des nombreuses boîtes du 15ième à l'époque.
J'évoque ça en me disant : « Cette lutte a duré plus de 3 ans avec des moments forts, des relations se sont forcément nouées entre les « soutiens » et les immigrés. Qu'est-il resté de tout cela ?
Finalement rien, chacun a repris sa route : les uns leur route d'immigré, les autres leur route de « soutien » dans une boîte dela Fonction Publique sans immigrés, les autres dans une université ou dans une grande école qui fabrique la dite « élite » de la nation.
Finalement tout s'est défait, pourquoi ?
Peut-être que dans les soutiens on faisait un peu les dames patronesses en oubliant d'échanger à égalité avec les immigrés, en ne cherchant pas à se connaître, en ne cherchant pas à comprendre, leur rapport à leur pays, leur rapport àla France, la vie qu' ils voulaient. De ça on ne parlait jamais.
Peut-être aussi qu'il y avait un vieux fond de racisme colonial qui nous empêchait de considérer les locataires de l'hôtel comme nos égaux
Et cette lutte que tous avaient à la bouche, quel était son contenu réel pour les uns et pour les autres?
En gros, pour les différentes chapelles gauchistes c'était d'abord prouver l'efficacité de son organisation dans la lutte des classes par rapport aux autres groupes. Il fallait être ceux qui défendent les plus exploités, les immigrés.
Alors s'intéresser à la vie que les immigrés vivaient dans cet hôtel, à leurs projets proches et plus lointains, c'était non seulement secondaire mais sans objet.
D'ailleurs quand les expulsions on eu lieu et que le conflit c'est dénoué, les malentendus ont surgi. Les militants syndicaux plus proche des réalités immédiates ont compris les premiers que la belle unanimité était entrain de se fissurer de toutes part et qu'il fallait sortir du malentendu en donnant la parole aux seuls intéressés.
Devant ceux qui voulaient continuer la lutte a tous prix, un syndicaliste de l'union Locale a proposé que les travailleurs immigrés de l'hotel se réunissent seuls et fassent part de leur décision au groupe.
A l'issue de la réunion « les soutiens » ont été stupéfaits : ils apprenaient que la majorité avait trouvé une solution de relogement collective ou individuelle. Les locataires immigrés de l'hôtel ne leur en avaient rien dit, pour ne pas les décevoir, pour ne pas avoir l'air de renoncer à la lutte, en fait ils s'étaient concertés entre eux sans s'occuper des soutiens.
Par contre ils avaient laissé entendre aux syndicalistes bas de plafond mais nettement plus réalistes.
qu'ils ne comptaient pas passer leur vie dans cet hôtel pourri.
Ce que n'avaient pas bien compris les « soutiens » c'est que les immigrés ne vivaient pas dans un hôtel loué par des marchands de sommeil pour le plaisir de la lutte, mais pour faire des économies.
Déjà pendant la lutte chacun vivait dans son monde, ainsi il n'est rien resté d'une lutte de 3 ans.
Parce que les bons sentiments politiques, humanitaires, ne suffisent pas et l'idée de la lutte comme bonne en soi évite de rencontrer les individus qui mènent cette lutte et qui eux ne sont pas une abstraction politique. Il ne voulaient pas être expulsés dans n'importe quelle condition c'était cela l'objet réel de leur action à eux.
Parce que dans cette lutte il n'y avait pas égalité, ce quelquechose de vraiment commun qui existe quand les gens travaillent ensemble.
Oui, il y avait des ennemis communs, l'état, le capitalisme mais ils sont loins, le plus proche c'était le proprio de l'hôtel.
Parce que il y avait la supériorité intellectuelle des uns sur les autres, celle de ceux qui ont les discours et les autres qui sont seulement invités à dire leur exploitation, leur misère, leur révolte que les militants politiques sont chargés de tranformer en révolution, les malentendus se sont accumulés.
Cette révolution c'est leur parti politique qui la ferait.
Parce que nous les militants français, avons fait l'impasse sur l'histoire coloniale de la France, ils n'ont pas eu la cruauté de nous dire pourquoi ils étaient là, comment ils étaient arrivés dans nos usines en France et pas ailleurs. On avait oublié que dans les années 1830, la Franceavec une certaine caution de son « peuple » les avait spoliés de leur terre et de leur mode de vie
Parcequ'il faut garder une distance entre le collectif et l'individuel, en fait se protéger de l'autre, de sa façon de vivre, de sa culture.
Sans parler jamais, bien sûr de la question des femmes françaises militantes en présence des hommes vivants en célibataires forcés, ce qui faussait les rapports dont une grande part passait par la séduction et qui avait besoin du cadre de la lutte pour se dérouler.
Quand je me rappelle de cette lutte, de la chaleur des relations qu'il y avait, je réalise cet abandon, je me dis qu'on a raté quelquechose qui aujourd'hui serait précieux.
Garder des liens aurait pu donner des billes solides contre les mensonges, les impostures, le populisme du discours de la famille Le Pen.
Bon, encore un bilan négatif, c'est avec des bilans de ce genre qu'on se retrouve avec un Sarkosy et un Guéant. C'est triste à pleurer et comme personne ne veut faire de bilan, on est prêt à recommencer les mêmes âneries avec les sans-papiers.
Du coup aujourd'hui on n'ose même plus dire « travailleurs Français immigrés même patron, même combat » qui est pourtant toujours aussi juste.