Vous vous souvenez de l’onctueux Bernard Blier, qui nous avait bien fait rire dans le rôle d’un improbable espion suisse dans le film “Les barbouzes” ? Eh bien, les vrais barbouzes suisses n’ont pas fait rire du tout les parlementaires helvétiques qui ont découvert que les services secrets avaient fiché 200 000 personneshors de tout contrôle et au mépris des lois. Comment, le paradis de Liliane Bettencourt, le havre de Johnny, de Polanski, de l’équipe de France de Coupe Davis et des 3000 “mauvais Français” épinglés par Bercy serait un repaire d’Al Quaida et des terroristes tchétchènes ? Cela ne m’a fait rire non plus. Cela m’a rappelé de mauvais souvenirs. En 1990, une commission parlementaire avait découvert que la police fédérale, en collaboration avec les polices cantonales, avaient établi des fiches de renseignement sur 900 000 Suisses, surtout des syndicalistes, des militants de gauche, des enseignants et des journalistes. Près de 15% des Suisses dans les fichiers des barbouzes ! L’enquête avait aussi révélé que des officiers avaient créé une armée secrète dite P26, forte de quelques dizaines de spécialistes des commandos, et que des politiciens de droite avaient mis sur pied un service secret de renseignement dit P27. Le scandale avait ébranlé le gouvernement, l’armée, les services de renseignement et l’opinion publique. Comme des milliers de Suisses, j’avais demandé une copie de ma fiche. J’avais reçu un document de trois pages sans en-tête où étaient consignés les rapports du renseignement suisse sur mes activités de journaliste et d’officier. Les noms des barbouzes étaient caviardés. J’ai ainsi appris qu’un agent m’avait repéré quand j’avais assisté à une conférence de presse d’une délégation nord-vietnamienne à Genève. Qu’un diplomate nord-vietnamien qui avait demandé l’asile politique en Suisse m’avait désigné comme son ami, probablement parce qu’il m’avait vu à la télévision. Qu’un reportage TV que j’avais fait en Ouzbekistan soviétique avait intéressé le renseignement suisse, parce qu’il avait provoqué une protestation de l’ambassade soviétique. Un agent secret avait même noté mon déménagement, mais il m’avait attribué une fausse adresse : rue de la Filature. Ca ne s’invente pas ! Un de mes amis journalistes, pourtant fils d’un général, avait reçu sa fiche : 60 pages de surveillance, de filature, d’écoute des services de renseignement. Il n’était ni gauchiste ni anarchiste. Son seul tort : avoir épousé une Polonaise. Après la scandale des fiches, le gouvernement avait passé un sérieux coup de balais dans les services de renseignement. Un nouveau système informatique avait été mis en place, avec des règles strictes pour la collecte et l’usage des informations. Le “Service d’analyse et de prévention” (SAP) -merveilleux euphémisme administratif - avait été rattaché au Département fédéral de la Défense. Mais quand on est barbouze, on ne se refait pas : les députés ont découvert que le SAP a créé 200 000 nouvelles fiches de personnes qui pourraient mettre en danger la sécurité de la Confédération. Parmi ces terroristes en puissance, deux députés de Bâle, d’origine kurde. Au lieu de trier et de contrôler la qualité des informations recueillies, les ronds-de-cuir du renseignement intérieur se contentaient de nourrir leurs ordinateurs avec des données inutiles, erronées ou périmées. “Graves lacunes, mais ce n’est pas le rôle des élus de définir s’il s’agit d’un nouveau scandale”, a déclaré le président socialiste de la commission d’enquête. Le Parlement renvoie donc la patate chaude au gouvernement et à sa ministre de la Justice. Elle n’avait vraiment pas besoin de cela pour occuper ses journées : elle ne sait déjà pas comment s’y prendre pour régler la demande d’extradition de Polanski. Protégez-moi de mes barbouzes, les Américains, je m’en charge !
Billet de blog 1 juillet 2010
Les délires des barbouzes suisses
Vous vous souvenez de l’onctueux Bernard Blier, qui nous avait bien fait rire dans le rôle d’un improbable espion suisse dans le film “Les barbouzes” ? Eh bien, les vrais barbouzes suisses n’ont pas fait rire du tout les parlementaires helvétiques qui ont découvert que les services secrets avaient fiché 200 000 personnes
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