Ecoutez l'interview d'Edwy Plenel le 3 mars 2013 à La Radio Romande
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Il y a une légende-Plenel. Le personnage a quelque chose de balzacien et il sait en jouer. Mais ne pas oublier l'analyste, le leveur de lièvres, l'historien de l'immédiat. Rencontre avec une grande figure du "quatrième pouvoir".
Le site en ligne qu'il a créé, Mediapart, fête ses cinq ans en 2013. Naguère contesté pour son goût du scoop, Edwy Plenel a redoré son blason en inventant un nouveau concept d'information sur la toile.
La moustache la plus fameuse du journalisme français, l'oeil qui frise, beaucoup d'affabilité, le goût de convaincre, la parole facile, séduisante, un ton d'enthousiasme, de l'entrain. Cet homme-là doit savoir entraîner une équipe derrière lui.
C'est ce qui se passe, semble-t-il à Mediapart, le site d'information, indépendant, participatif et payant (donc sans publicité) qu'il a fondé voici juste cinq ans.
Un vilain petit canard qui marche...
Et qui marche! Dans le contexte difficile (euphémisme!) de la presse, soixante mille abonnés et un solde largement bénéficiaire (572'000 Euros, chiffres 2011), c'est un exploit.
Car la presse papier va mal, elle perd chaque jour des lecteurs, et la presse en ligne joue la gratuité, modèle économique absurde.
D'où l'originalité du projet Mediapart. Qui semble convenir à son lectorat, qui va du centre gauche à l'extrême gauche.
Avec environ 45 employés, dont une trentaine de journalistes, l'entreprise reste cependant modeste, mais elle donne à réfléchir. De longs articles, qui veulent être "de référence", des dizaines de blogs hébergés, un journalisme d'enquête, des commentaires engagés… Ce n'est pas encore Le Monde, mais Libération est déjà dépassé.
Dans le paysage désertique de la "presse quotidienne nationale" en France, le phénomène est remarquable.
L'homme du Monde
Un signe: la prospérité est venue, d'un seul coup, au milieu de l'année 2010. Les débuts avaient été discrets, le succès était seulement d'estime, puis survint l'affaire Bettencourt: les révélations sur les turpitudes ("l'obscénité", dit Plenel) d'un milieu richissime, aux confins de l'affairisme et de la politique. Le scoop qui attire le lecteur, le feuilletonnage qui le fait revenir, tactique vieille comme le journalisme…
En somme, Mediapart renouait avec ce qui avait marqué "l'ère Plenel" au journal Le Monde.
Car Edwy Plenel est un pur produit du Monde, où il a passé un quart de siècle. Son métier, c'est le journalisme d'investigation, l'enquête de terrain. Et sa spécialité, ce furent longtemps les affaires de police ou de justice. C'est là qu'il leva ses premiers lièvres.
Et quand il devint directeur de la rédaction, la une du journal multiplia les titres sensationnels et les révélations gênantes pour le pouvoir.
Un leveur de lièvres qui dérange
Paradoxe, cet homme de gauche devint un témoin gênant et une cible pour le pouvoir socialiste. Qu'on se souvienne de l'affaire du Rainbow Warrior, où les services secrets français se couvrirent de ridicule. De l'affaire Roland Dumas - Christine Deviers-Joncour. Qu'on se souvienne aussi de la série d'articles sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Sans oublier de consternants loupés (les allégations diffamatoires sur Dominique Baudis).
Certains vieux lecteurs du Monde détestèrent ce style spectaculaire, il n'empêche, les ventes grimpèrent.
Jusqu'au moment où parut une enquête ravageuse, La face cachée du Monde, de Pierre Péan et Philippe Cohen, qui dénonçait le style de gouvernance du trio Jean-Marie Colombani - Edwy Plenel - Alain Minc.
Joseph le rouge
D'où un profond malaise à l'intérieur du journal et la révélation pour le public de la personnalité insolite de Plenel: comme le Premier Ministre, Lionel Jospin, Plenel avait été trotskiste. Pendant une dizaine d'années, il avait été militant de la Ligue Communiste Révolutionnaire, sous le nom de guerre de Joseph Krasny (rouge, en russe…) et c'est au journal Rouge, qu'il avait fait son apprentissage de journaliste.
L'affaire fit grand bruit, de même que le fait que Plenel fût mis sur écoute téléphonique par une cellule occulte de l'Elysée, chargée par François Mitterrand de surveiller quelques personnalités considérées comme menaçantes (le plus redouté étant Jean-Edern Hallier).
La plume dans la plaie
Tout cela aida à la naissance d'une "légende Plenel", très porteuse, et qui contribue à son statut de vedette du journalisme en France. Il s'en amuse, il s'en explique, il en joue, il s'en sert. C'est de bonne guerre.
Il ne faudrait pas que cette légende fasse négliger le journaliste qu'il est, et l'analyste du monde contemporain. De nombreux livres (écrits par lui ou publiés par lui), d'innombrables apparitions dans les medias, des conférences, l'enseignement dans des écoles de journalisme (Montpellier, Neuchâtel), tout cela se place dans le droit fil d'une phrase d'Albert Londres qu'il cite souvent: "Notre métier n'est pas de faire plaisir ni de faire du tort, mais de porter la plume dans la plaie."
A lire :
Par Edwy Plenel :
- Secrets de jeunesse. Stock, 2001 (prix Médicis essai) ; « Folio », 2003.
- La Découverte du monde. Stock, 2002 ; Gallimard, « Folio Actuel », 2004.
- Le Journaliste et le Président. Stock, 2006.
- Le Droit de savoir. Editions Don Quichotte, 2013.
- Combat pour une presse libre. Le manifeste de Mediapart. Editions Galaade, 2009.
Par la rédaction de Médiapart :
- N'oubliez pas ! Faits et gestes de la Présidence Sarkozy. Editions Don Quichotte, 2010.
- Finissons-en ! Faits et gestes de la Présidence Sarkozy (vol.2). Editions Don Quichotte, 2012.
Et aussi :
- Laurent Huberson : Enquête sur Edwy Plenel. De la légende noire du complot trotskyste au chevalier blanc de l'investigation. Le Cherche-Midi, 2008.
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