« Voir plusieurs films par jour, même si l’on aime cela, cen’est pas toujours facile, nous ne sommes pas des machines. » Ce sont les motsde quelques jeunes spectateurs qui font précisément partie du Jury des jeunesspectateurs. Si vous aimez le cinéma, c’est une chose à savoir :vous pouvez écrire en février-mars prochain et demander à faire partie de ce jury. Je ne connais pasexactement les conditions, je sais juste que ce jury est logé à l’auberge dejeunesse et qu’ils ont l’air de bien s’amuser ensemble.
Hier, j’ai vu Bas-fonds,de la très singulière Isild Le Besco. Il ne s’agit pas d’une adaptation de lapièce éponyme de Maxime Gorki, ce qu’étaient le film de Jean Renoir (1936) etcelui de Kurosawa (1957), mais Isild Le Besco est mue par la même flamme queGorki : « Tout est dans l’homme, tout est pour l’homme ! L’homme seulexiste, tout le reste est l’œuvre de ses mains et de son cerveau.L’homme ! Quel mot magnifique ! Comme cela sonne fier ! Il fautrespecter l’homme ! Pas le plaindre, pas l’humilier par la pitié, mais lerespecter. »
Elle signe un film courageux tiré d’un fait divers, toutcomme Au fond des bois où nousl’avions vue le soir de l’ouverture du festival. Histoires de folie, histoireshumaines. « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », disaitTérence, poète latin du IIe siècle avant J.-C. Isild Le Besco racontel’histoire de trois femmes plongées dans l’horreur d’un « monde sans mots,sans pensée », d’un monde de sensations que rien ne vient limiter, border,sinon la mort. Ici celle d’un pauvre boulanger.
Quoi de plus étranger que la psychose ? Si vous nel’avez pas encore vu, allez regarder « Un monde sans fous », que Mediaparta mis en ligne accompagné de tous les interviews dont le film est tiré. C’estici : http://www.mediapart.fr/content/un-monde-sans-fous-ou-les-derives-de-la-psychiatrie.Prenez le temps d’écouter Patrick Chemla, d’écouter Jean Oury, d’écouter lesinfirmiers parler de leur travail.
Les Bas-fondsparle de l’abandon où ces femmes sont laissées, par leurs parents, d’abord, par leurs proches complètement dépassés. C’est un film sur la déliaison, sur la perte des lienssociaux, l’une des héroïnes est femme de ménage, on la voit nettoyer lesbureaux vides d’un journal et c’est en nettoyant les cabinets qu’elle aperçoitdans le miroir le visage de la seule employée qu’elle y rencontre. Peut-onappeler cela une rencontre ?
Dans son livre Fresnes, histoires de fous, Catherine Herszberg dit que bientôt lesfous ne seront soignés qu’en prison. Les hôpitaux n’ont plus les moyens desoigner, rares sont ceux qui gardent les malades un temps suffisant pour mettreen place un traitement. L’heuren’est pas à l’écoute et au soin mais à l’éducation, pour ne pas dire au dressage, et à l’économie. On ne jureque par l’efficacité, la rentabilité.
Merci à Isild Le Besco et à son ami, devenu producteur pour la soutenir. Les comédiennes sont incroyables, avec quelque chose de complètementdécalé, c'est qu'elles ne sont pas folles, elles. Le film a été tourné très rapidementen quatre semaines, a raconté Isild Le Besco, « plus aurait été insupportableet aurait précipité les comédiennes à l’hôpital psychiatrique ».
Ponctué de textes mystiques, le film suit la conversion dela meurtrière qui, nous a-t-on dit, est devenue catholique, trouvant dans lafoi une forme de salut. C’est ainsi. La religion semble aujourd’hui pourbeaucoup le seul moyen de retrouver son être humain. Pour ma part, je ne m’enréjouis pas. Car l’on sait que les religions ont toutes leurs fanatiques. Ce film fera couler beaucoup d’encre c’estcertain. Sera-t-il primé ? il le mériterait.
Je parlerai demain de LaLisière.
Françoise Mona Besson