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Billet de blog 12 août 2010

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La seringue ou la prison

Une méchante polémique a secoué Genève, il y a quelques mois. Elle a été lancée par le Mouvement Citoyens genevois (MCG), le parti populiste et xénophobe qui avait qualifié de "racaille" les frontaliers français travaillant à Genève. En octobre 2009, le MCG est devenu la troisième force politique à Genève, avec 17% des sièges au Parlement cantonal.

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Une méchante polémique a secoué Genève, il y a quelques mois. Elle a été lancée par le Mouvement Citoyens genevois (MCG), le parti populiste et xénophobe qui avait qualifié de "racaille" les frontaliers français travaillant à Genève. En octobre 2009, le MCG est devenu la troisième force politique à Genève, avec 17% des sièges au Parlement cantonal. Il vient de demander la fermeture du local d'accueil et d'injection pour toxicomanes "Quai 9", au cri de "Halte au tourisme de la drogue", à la suite de l'arrestation d'un trafiquant d'héroïne. Dans une motion au Parlement genevois, il prétend que "80% des toxicomanes qui utilisent la structure du « Quai 9 » proviennent de la France et ne sont pas des résidents".

Depuis neuf ans, "Quai 9" a installé derrière la gare de Genève un local ouvert tous les après-midi. Certains toxicomanes - majeurs, dépendants depuis deux ans, malades - peuvent venir prendre leur dose d'héroïne ou de cocaïne sous contrôle médical, échanger leurs seringues, faire tester leurs drogues et recevoir des conseils. Depuis son ouverture, il y a neuf ans, 2700 toxicomanes se sont présentés au local, dont un tiers de Maghrébins, selon le rapport de l'association "Première ligne" qui gère le centre. Le canton de Genève a signé un contrat avec l'association et la finance. L'an dernier, "Quai 9" a coûté aux contribuables 340 000 francs suisses (environ 240 000 euros).

Je vous vois sursauter. Quoi, à Genève, les impôts servent à acheter des seringues et de la drogue aux toxicos ? Ils sont fous, ces Suisses ! En France, selon la loi Dati sur la récidive, le toxicomane qui achète régulièrement du cannabis pour sa consommation personnelle risque une peine plancher de 4 ans ferme.

Non, les Suisses ne sont pas fous. Ils sont pragmatiques. Face au fléau de la drogue, qui tue des milliers de jeunes et des ravages du sida, la Suisse a adopté une politique dite "des quatre piliers" : prévention (réduire le nombre de nouveaux consommateurs), thérapie (augmenter le nombre de désintoxications réussies), réduction des risques (restreindre les dommages de santé et l'exclusion sociale des drogués), répression et régulation du marché (protéger la société des conséquences néfastes de la drogue et lutter contre le crime organisé). Au lieu de condamner les toxicomanes à de lourdes peines de prison, on essaie d'éviter la dépendance, de soigner et de réintégrer les toxicomanes, on rend possible une consommation contrôlée, on interdit les drogues illégales en contrôlant le marché.

Là, je vous entend ricaner ! Ils sont vraiment naïfs, ces Suisses ! Soigner les drogués, leur filer la seringue et la came ? Et quoi encore : aider les trafiquants à écouler leur came ? La France croit encore qu'on peut gagner la guerre contre la drogue en mettant en prison les toxicomanes. La loi punit d'un an de prison et d'une amende de 3750 euros au maximum le consommateur de drogues. Pour le trafiquant, c'est 10 ans et 7,5 millions d'euros. La politique du tout-répression n'a pas freiné la consommation de drogues. Selon le ministère de l'Intérieur, la France compte 4 millions de consommateurs de cannabis. A l'âge de 16 ans, les jeunes Français sont "les premiers consommateurs d'Europe". Toujours selon l'Intérieur, "on dénombre environ 150 000 consommateurs de cocaïne" et, en 2005, 360 000 jeunes Français ont goûté à l'héroïne. Le sida avait tué des milliers de drogués jusqu'en 2005 parce qu'on leur avait refusé des seringues stériles. Cela va un peu mieux depuis quelques années. Mais, en France, malgré l'avis de spécialistes de la santé, la police et la justice traitent presque toujours un toxicomane comme un criminel, pas comme un malade.

Le gouvernement a lancé, en 2008, un plan d'action qui prévoit aussi la prévention, l'information, la réinsertion et la recherche en matière de toxicomanie. Mais la priorité, c'est la dissuasion et la répression. Il faut lutter contre ce que le ministère appelle "le proxénétisme de la drogue". Résultat : les saisies de drogues sont en hausse, les condamnations aussi. Mais le nombre de toxicomanes ne diminue pas.

La Suisse a fait d'autres choix. La loi fédérale interdit aussi, comme en France, la production, la détention, la vente et l'usage de stupéfiants. Mais, dans le canton de Saint-Gall, si un adulte consomme quelques grammes de cannabis ou d'héroïne, l'infraction est traitée comme un dépassement de la durée de stationnement : une amende d'ordre de 30 euros, qui n'est pas inscrite au casier judiciaire. Ni criminalisation ni laisser-faire et moins de paperasse pour les policiers. Cela vous choque ? En tous cas, cela n'a pas fait augmenter le nombre de toxicomanes.

Bien sûr, la Suisse n'est pas un havre de paix. Il est aussi facile de se procurer de la drogue à Genève qu'à Paris. Depuis quatre ans, les dénonciations pour consommations de stupéfiants ont diminué de 5%, même si le trafic a augmenté de 14%. Mais la drogue tue moins, il y a moins de nouveaux toxicomanes et le sida frappe moins de drogués. La Suisse revient de loin : dans les années 90, elle avait toléré des "scènes ouvertes" où les toxicomanes s'injectaient de l'héroïne en public, sous l'oeil complaisant de la police. Les Suisses ont compris qu'une société sans drogue était illusoire. Ils ont créé un "modèle suisse" pour amener les toxicomanes à renoncer à la drogue et à se réinsérer, tout en luttant contre le trafic. La France regarde cette politique avec méfiance, mais elle n'a rien de mieux à proposer.

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