Lilliputia
Xavier Mauméjean
Calmann-Lévy - collection Interstices
Résumé de l'éditeur :
Bonnes gens, bienvenue à Dreamland ! Érigé sur l’île de Coney Island au début du xxe siècle, ce parc d’attractions d’un nouveau genre abrite en son sein le plus phénoménal des divertissements : Lilliputia, la Cité des Nains, qui accueille pour votre plus grand bonheur trois cents petites personnes venues du monde entier. Construite sur le modèle du Nuremberg du xve siècle, mais en réduction, cette exemplaire cité possède un parlement, un théâtre, des bas-fonds et même une compagnie de pompiers qui va jusqu’à déclencher ses propres feux pour divertir les visiteurs du parc !
Venez écouter l’histoire édifiante d’Elcana, ce courageux jeune homme de petite taille conduit depuis son Europe de l’Est natale jusqu’à Lilliputia. Là, il comprendra bien vite qu’il lui revient de libérer ses semblables de la servitude dans laquelle on les a placés, pour leur « apporter le feu ». Avec l’aide de la monstrueuse parade des Freaks, il mènera la révolte contre son propre Zeus – le mystérieux et richissime démiurge, propriétaire de Dreamland – et conduira Lilliputia jusqu’à l’embrasement final…
Quand la tragédie grecque rencontre la mythologie américaine naissante, celle du Gangs of New York de Scorsese, pour une magistrale réinvention de la figure de Prométhée, c’est un feu d’artifice(s) littéraire d’une hauteur inversement proportionnelle à celle des protagonistes de Lilliputia qui se déploie sous nos yeux. Gentes dames, joyeux messieurs, bienvenue à Dreamland pour le plus grand des minuscules spectacles !
Lilliputia débute comme un roman d'Arriaga. Un Arriaga qui se serait égaré dans l'Europe de l'est de 1900, mais un Arriaga tout de même... Et Lilliputia s'achève comme l'oeuvre d'un surréaliste - Ernst ou Dali, peu importe du moment que la toile a des accents d'Apocalypse. Entre-deux, à Lilliputia - bâtie sur le modèle de la Nuremberg du xvème siècle - Elcana, Prométhée inconscient d'un univers minature, va apprendre à ouvrir les yeux, à aimer, à devenir lui-même... - malgré les regards des Grands, quiconsidèrent les nains comme des jouets, mais plus drôles parce qu'ils bougent.
Xavier Mauméjean n'a pas inventé cette "ville des jouets" (citer Oui-oui en exergue de chaque parti était gonflé, mais ô combien réaliste de sa part). Ce parc d'attractions est né de l'association entre un genre de Barnum et le sénateur de New-York, avec pour toile de fond une horde de richissimes personnages en mal de sensations fortes et de l'autre côté, les Freaks, que l'on force à n'être que représentation pour vivre. Lilliputia a réellement existé, de même que le Luna Park, de même que la monstrueuse parade. Des êtres humains y ont vraiment été parqués et contraints d'y mener une existence faite de tableaux miniatures du rêve américain ... et complètement débauchée (coke et peep shows à gogo) pour distraire les spectateurs en mal d'émotions fortes.
"Je suis persuadé que l’expérience de Coney Island est à l’origine de Disneyland, des missions Apollo... et des camps de concentration. Autrement dit, d’une large part du vingtième siècle", explique d'ailleurs Mauméjean dans une interview récente.(cf.lien pour l'intégralité de l'entretien).
Mais revenons à Elcana et au cortège de personnages qui l'accomapgnent. Echappés des mythes, ils trouvent dans Lilliputia un rôle auquel ils ne peuvent s'arracher - sauf s'ils sont prêts à subir le courroux de leurs pairs, qui préfèrent être illusion plutôt que n'être rien. Flint Beltaine, pyromancien au nom évocateur, ne se libère - provisoirement - de son rôle qu'en perdant les yeux. Perfect Tommy, élevé par les Sélénites, mi-Achille, mi-Siegried, lui, préfère le mensonge, la stabilité alimentée par la pornographie et la cocaïne, à la révolte.
Mais comment être soi-même dans un monde ou tout est réglé, dirigé, dessiné par une entité invisible et ses hordes de subalternes qui prévoient et décident tout ? Comment faire prendre conscience aux autres qu'ils peuvent devenir "eux-mêmes", pourvu qu'ils soient capables d'en prendre le risque ? La quête d'Elcana et de ses compagnons les mènera d'abord sur la Lune. Habitée par des Sélénites mélancoliques et hautains, l'astre sert de Kinderbrut-Anstalt au parc et à ses riches mécènes. Nains et "monstres" parqués, eugénisme... Dreamland ressemble à un enfer miniature, que Xavier Mauméjean n'hésite pas à qualifier de "laboratoire du XXème siècle". Après la Lune, les méandres du monde souterrain - où se cachent les freaks et leur roi, le Minotaure... L'hybride, amoureux flamboyant, démesuré et libre en dépit de tout, mènera la guerre jusqu'au sommet du building où se réfugient les sbires du démiurge...
Avec ce récit démesuré, Xavier Mauméjean reprend des thèmes qui lui sont chers - en particulier les freaks et le mythe de Prométhée. Qui sont les monstres ? Qu'est-ce que l'humain ? Quel est le prix à payer pour devenir soi-même ? Et, en bon philosophe - sa formation initale - il ne donne pas de réponse. C'est au lecteur de tracer sa propre voie dans le Labyrinthe...
En résumé, Lilliputia est un roman foisonnant et complexe dont on ne sort pas indemne et qui devrait trouver sa place dans toute bonne bibliothèque. The show must go on.