Dans la famille, on laisse les enfants parler à table, on évite les fessées mais on nettoie les fesses des bébés avec des couches 100% coton lavables. On n'a jamais forcé personne à aller à la messe, sauf quand on ne peut décemment pas laisser la petite dernière toute seule à la maison le 24 décembre au soir, et on les a tous envoyés recevoir une éducation laïque, empreinte de mixité sociale et sans excès de clichés.
Jusqu'à Noël. Par Elise Mesarowicz
Vous vous demandez peut-être s'il est réellement possible qu'une tante prof, qui mange bio et refuse le mariage, qui retape sa maison elle-même et porte des fringues de hippie peut décemment offrir des bouquins sexistes à sa fille : moi, je ne m'étais même jamais posé la question tant cela paraissait ridicule.
Jusqu'à Noël.
L’objet du délit est un gros pavé rose et noir, de 352 pages publié aux éditions Fleurus.
Bon, il y a déjà eu une évolution depuis l'édition de l'exemplaire de 2014, où la couverture était d'un rose pailletté que même des performeuses burlesques auraient pu refuser de porter.
J'ai pris mon courage à deux mains, et ai emprunté l'ouvrage criminel publiquement en espérant ne pas recevoir de moquerie de la part du restant de la famille. Quelque part, c'est comme s'ils savaient et me refusaient à moi, majeure, la possibilité de croire aux mêmes mensonges dont ils allaient abreuver ma cadette. Bref, je ne me serais pas sentie moins à l'aise avec Mein Kampf dans les mains.
D'abord, j'ai regardé les titres. Fallait y aller progressivement, comme à la piscine quand l'eau est froide. Premier choc, le nombre de sujets, classés par ordre alphabétique, qui étaient censés représenter les centres d'intérêt d'une pré-adolescente.. Est-ce qu'il y a vraiment besoin d'écrire deux pages sur l'appareil dentaire pour rassurer les filles qui en portent un ?
Il paraît qu'il y a eu certains efforts de faits par rapport à la quantité de sujets traitant de mode et beauté, mais je crains de n'avoir toujours pas compris l'intérêt de faire une double page sur le vernis à ongle.. Quand est-ce qu'on va arrêter de foutre des complexes inimaginables à nos gamines dès le plus jeune âge en leur expliquant dans un dictionnaire quel est le meilleur maquillage possible pour cacher leurs « défauts ».
Autre « amélioration » depuis le modèle de l'année passée, les sujets tournent moins autour du relationnel et de l'amour le vrai le grand, celui que Dieu approuve. Du coup, y'a quelques pages intitulées « amoureuse », d'autres sur le désir et la fécondité, ensuite sur les copains/copines mais rien sur l'amitié, une ou deux pages sur leur sexe et le premier acte sexuel..
C'est qui est dommage, c'est qu'en plus de ressasser les mêmes discours que l'on trouve partout, ils véhiculent de ce fait nombre de clichés bien-pensants et laissent de côté TOUT ce sur quoi Dieu n'a pas mis sa signature : l'année passée, au moins, même si c'était mal fait, ils avaient mentionné l'existance de l'homosexualité et déballé tous leurs clichés sur les « butchs » et les « grandes folles ». En 2015, ça n'existe plus. Dieu et Marine Le Pen ont fait le tri dans les attirances sexuelles et seule l'hétérosexualité subsite, bien sur. Sinon, on ne pourrait pas écrire tout un article sur la sacro-sainte « fécondité ».
Parce qu'avec la « fécondité » viennent les enfants et le bonheur, le vrai ! Parce que dans le passage sur le bonheur on retrouve les causes évidentes du bonheur féminin : un chéri et des têtes blondes. Bah ouais. Oh, et puis le petit Jésus : « Le vrai bonheur, c'est celui qui ne finit pas. A vue humaine c'est impossible mais du côté de Dieu ? L'espérance que portent les grandes religions, c'est la Promesse que Dieu fait à l'humanité. Un bonheur parfait, qui est prolongé jusque dans l'éternité. »
Donc Dieu et les mômes, c'est bien. Même quant on vient à peine d'avoir ses règles, parce que l'avortement.. « si la loi permet cet acte, ça ne le rend pas moral. L'avortement reste un acte grave qui pose la question de la valeur qu'on donne à la vie humaine.. » Mieux quelques lignes plus loin, la même phrase réécrite d'une année sur l'autre [oui, je me suis farcie non pas un, mais deux dictionnaires sexistes, rien que pour vous] : «les autorités morales et les grandes familles religieuses ont leur mot à dire dans cette affaire, parce que c’est leur rôle d’énoncer des principes destinés à guider l’action humaine ».
A partir de là, j'ai fini ma lecture dans les toilettes pour vomir toutes les deux pages tellement j'étais choquée du contenu. Entre une injonction à ne pas boire une seule goutte d'alcool en sous-titre de l'article destiné à la boisson, l'idée que pour être heureux il faut comme dans la série télévisée je cite « amour gloire et beauté (et de l'argent ) », entre un article entier consacré à la meilleure manière de se débarrasser de ses poils « Poils : comment on s'en débarrasse ? » puis « Savoir vivre : en France, on déteste les poils [...] les gens seraient choqués.. »
Du coup, j'ai décidé d'aller élever mes enfants en Nouvelle-Guinée et d'attendre que les poils qui poussent sous les aisselles soient assez longs pour en faire de jolies tresses avec des perles.
En attendant, j'essaie de me remettre de cette expérience pour de nouveau regarder ma tante dans les yeux.
Elise Mesarowicz, Le Cancre, lycée Jacques Prévert, Boulogne-Billancourt (92)