Billet de blog 4 février 2013

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La dernière chronique du prépa

L'autre moitié du costume de Polytechnicien : La prépa est une chromatographie. Parmi cette masse d'élèves doués, brillants, ou simplement ingénieux, tous gratifiés par un bon parcours scolaire, elle fera le tri grâce à sa longue épreuve ; elle séparera les composés selon leur adhérence, les élèves selon leur capacité à rentrer dans le moule, à satisfaire les critères. Et les élèves qui graviront le plus haut ne sont pas forcément ceux qui, au départ, avaient les meilleurs résultats scolaires. J'en tiens pour seule preuve l'ami Manu qui rentra à Blaise Pascal avec le bac mention Bien, et en ressorti avec une place pour Polytechnique dès la 3/2.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'autre moitié du costume de Polytechnicien : La prépa est une chromatographie. Parmi cette masse d'élèves doués, brillants, ou simplement ingénieux, tous gratifiés par un bon parcours scolaire, elle fera le tri grâce à sa longue épreuve ; elle séparera les composés selon leur adhérence, les élèves selon leur capacité à rentrer dans le moule, à satisfaire les critères. Et les élèves qui graviront le plus haut ne sont pas forcément ceux qui, au départ, avaient les meilleurs résultats scolaires. J'en tiens pour seule preuve l'ami Manu qui rentra à Blaise Pascal avec le bac mention Bien, et en ressorti avec une place pour Polytechnique dès la 3/2.

Qu'on ne s'y trompe pas : la véritable épreuve n'est pas les concours. Ce sont les deux ans de préparation eux-mêmes qui constituent le parcours du combattant. Les écrits, puis les oraux, tentent de prendre une photographie de ce parcours. Puis la position est notée, le classement est fait, et la chromatographie est achevée.

A leur entrée, chaque prépa porte la moitié du costume de Polytechnicien. Tant qu’on n’a pas été mis à l'épreuve, qui dira que nous ne pouvons réussir ? Pour la plupart cependant, ces deux ans seront le long apprentissage qui amène à accepter, petit à petit, de quitter cette moitié d'uniforme. Pour certains, c'est une leçon d'humilité qui ne fait pas de mal, qui fait prendre conscience qu'il y a toujours plus fort ou aussi fort que soi. D'autres s'y sentiront si faibles qu'ils changeront de filière, alors qu'ils pouvaient tout à fait devenir de bons ingénieurs. Mais si un choc important de la prépa mérite d'être retenu, c'est celui qui, devant la charge de travail, nous fait prendre conscience que nous ne pourrons jamais tout très bien faire, mais que nous devons simplement faire de notre mieux. C'est la devise du prépa combattif qui a réussi à lâcher prise : si j'ai fait de mon mieux, il n'y a rien à regretter.

Illustration 1

J'ai maintenant intégré mon école d'ingénieur, et le quotidien, le rythme de la classe préparatoire, s'éloignent de moi comme un lointain souvenir. Mais, même si ceci est ma dernière chronique, jamais je n'arrêterais de penser la prépa comme je l'ai fait tout au long de ces deux dernières années. Avant tout, il ne faut pas céder à la complaisance de l'oubli, au filtre du temps qui transforme même les mauvaises expériences en bons souvenirs. A ce "curieux pacte signé entre les aînés et les cadets"[1] comme disait Marie Desplechin.

La priorité, dans le vent de progrès qui transporte les classes préparatoires, c'est de dénoncer l'humiliation, de refuser l'abaissement et le mépris. L'année dernière encore, un ami le disait avant une khôlle : "En fait, j'ai l'impression que je suis immunisé. Il pourrait m'insulter, me rouler dans la boue, j'en aurais plus rien à faire." Je me suis rendu compte que je ressentais à peu près la même chose. Est-ce cela que la France veut pour sa classe dirigeante et intellectuelle ? La soumission, l'acceptation du rabaissement comme une pratique normale, banale ?

Le prépa apaisé est celui qui aura su se défaire des préjugés inculqués par la compétition, ignorer le mépris de ceux qui se croient supérieurs, compris qu'il y a un salut hors du Top 10 des Grandes Ecoles. Celui qui sera sorti du lot, à se demander non pas "Quelle est la meilleure école ?" mais "Quelle est la meilleure école pour moi ?". Celui qui aura su lâcher prise, qui aura su "lâcher prise", qui aura appris à "faire de son mieux" sans chercher une épuisante perfection. Celui qui, bien sur, aura su trouver l'entraide dans la compétition, les amis, la fête parmi le labeur, et la joie, même dans le travail !

            Mais aussi, last but not least, celui qui aura su "penser sa note" en prenant de la distance, en comprenant que ce n'est pas lui qui est noté, mais son travail. Il est toujours possible de progresser, même dans l'échec, surtout dans l'échec. Sans compter toutes les qualités que vous avez, et qui ne sont pas évaluées !

        C'est tout le sens de cette phrase, que j'ai eu un jour le bonheur de voir écrite sur un tableau du lycée :

"Vous n'êtes pas l'école que vous intégrerez."[2]

Et là, on sent que la prépa vaut le coup d'être vécue.

Mathieu Farges, ex rédacteur du journal lycéen Le Chevelu, et maintenant élève ingénieur Mines Albi. 


[1] Article "Souffrance de première classe", Le Monde Culture&Idées, 4 février 2012

[2] référence au film Fight Club : "Vous n'êtes pas votre travail" (Tyler)

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