Billet de blog 5 février 2014

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Vie de prépa

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Si tu ne sais pas quoi faire après le bac, que tu aimes les cours et ta vie de lycéen, mais que tu es un peu suicidaire, il est temps pour toi d'en apprendre un peu plus sur un monde dont tu as sûrement déjà entendu parler, mais qui ne t'inspire pour l'instant que frayeur ou dégoût : LA PRÉPA. [NDLR : pour plus de frissons, faire suivre la lecture de ce mot de « tintintintin »].

La prépa, ou pour le dire plus joliment Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles (CPGE), c'est une sorte de Superlycée où on te prépare à différents concours pendant deux ans (trois si tu as un peu moins de chance). Il existe plusieurs filières (les mêmes qu'au lycée en gros) elles-mêmes divisées en sous-catégories. Pour simplifier, en scientifique tu choisis selon que tu préfères avoir plus de maths, plus de physique-chimie, plus de biologie, plus de SI... En économique tu choisis selon que tu viennes de ES (alors tu iras en prépa ECE) ou de S (alors tu iras en ECS). En littéraire tu choisis selon ta filière au lycée et surtout selon le degré de tes poussées suicidaires. Dans toutes ces filières sélectives, tu auras la joie de retrouver profs, classe, cours, sonnerie, cantine, mais l'enjeu ne sera plus le même, car la préparation à un concours diffère un peu de la préparation au bac... 

Yes we Khâgne

« Vous allez voir, ça va être le pied total ». C'est par cette annonce du prof de philo qu'a commencé mon année de prépa, et pas n'importe quelle prépa : la prépa littéraire, et pas n'importe quelle prépa littéraire : l'hypokhâgne BL. Bon, c'est bien beau ces mots barbares, mais à part te donner l'envie de tourner la page ça ne doit pas t'évoquer grand-chose. Afin de ne pas te faire fuir et d'honorer ma nouvelle condition, je procèderai donc par un plan en trois parties...

QUOI

La prépa ayant son jargon propre, il est nécessaire de … bien définir les termes ! L'hypokhâgne désigne la première année de prépa littéraire, précédant la « khâgne », c'est à dire la deuxième année. Il existe une prépa littéraire très littéraire (la « AL », où l'on t'enseignera la première année le Français, la philosophie, l'histoire-géo, les langues, et une langue ancienne) et une prépa littéraire beaucoup moins littéraire : la « BL », où tu suivras des cours de Français, d'histoire-géo, de philosophie, de langues mais surtout de maths, d'économie et de sociologie. Ces trois dernières disciplines nécessitant un très bon niveau en maths, les classes préparatoires BL recrutent étonnement en grande majorité parmi les élèves filière scientifique. Une classe de BL c'est donc une majorité de S qui se sont tapés trois ans de physique et de bio pour finalement virer de bord après le bac, et une minorité de ES (voire quelques L) qui se retrouvent avec 7h de maths par semaine dans une classe envahie d'ex-scientifiques. Elle est pas BL la vie ?

COMMENT

… En bossant, mais avec le sourire ! La prépa, ça commence dès le premier jour, et ça ne s'arrête jamais vraiment : le tout c'est de ne pas décrocher. On dépasse vite les préjugés sur l'esprit de compétition invivable et l'ambiance carcérale attachés aux CPGE. Bien sûr l'égo en prend un coup, et la comparaison aux autres est indispensable. Mais c'est justement parce qu'il faut assumer les six heures de devoir sur table tous les samedis, les « colles » (examens oraux individuels après les cours) toutes les semaines, les journées de dix heures, les concours blancs, les bouquins d'histoire de 700 pages, que l'ambiance est bonne : sans quelques personnes avec qui on peut délirer et sur lesquelles on peut compter, on ne tient pas une semaine (sauf pour quelques extraterrestres ayant grandi dans la caverne de Socrate). Le premier lien se fait par un instrument vital qui ne peut se faire qu'en communauté : LA FICHE. Au bout de quelques mois, presque toute la classe est atteinte de ce virus qui envahit progressivement ta manière de lire, d'apprendre, de penser. On fiche tout, même les fiches, et on se répartit le travail de façon quasi Stalinienne. Et puis ensuite vient la vraie vie : les virées au Starbuck, les soirées de classe, les sorties théâtre, les fous rires, les projets de vacances... En prépa, les Autres sont à la fois ton pire ennemi, et des amis que tu garderas sûrement à vie.

POURQUOI

C'est la grande question de l'hypokhâgneux qui se retrouve coincé six heures dans une salle contenant une centaine d'élèves à devoir plancher sur «  Qu'est-ce qu'une belle vie ? ». D'abord il faut savoir qu'on ne « s'inflige » pas deux années de dur labeur par pur contentement intellectuel : à la clé il y a les vrais concours, regroupés en diverses banques d'épreuves communes, et qui pourront nous ouvrir la porte (dans le cas des BL) des Écoles Normales Supérieures (ENS) formant des enseignants et des chercheurs, des écoles de commerce et de management, de sciences politiques, de communication et de journalisme, ou encore des instituts de la statistique (l'INSEE notamment). Mais en première année malgré l'entraînement intensif, les concours paraissent loin, et il faut trouver des arguments permettant de ne pas paraître trop suicidaires auprès des potes. Heureusement, c'est au moment de ces grands questionnements existentiels que le prof de socio nous dévoile la vérité : dans notre classe (c'est à dire 40 élèves sélectionnés parmi plus de 2000 dossiers), 71,8% ont des parents cadres ou de professions intellectuelles supérieures, quand 2,6% ont des parents ouvriers. Alors voilà, tout en gardant nos espoirs naïfs sur une possible égalité des chances dans la société française (cependant plus réelle dans les autres filières), on se dit qu'être en hypokhâgne BL, c'est d'une certaine manière profiter du système. En tant que petits rouages de cette grande machine de l'éducation nationale, on bénéficie en théorie des meilleures conditions d'enseignement, et ça n'est plus vraiment le moment de regretter. Surtout quand la machine menace de plus en plus de tomber en panne...

Pimprenelle, Lycée Janson de Sailly (75).

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