Vendredi dernier, j’étais en SVT. Ou peut être était-ce celui d’avant, je ne sais plus. Toujours est-il que c’était un chaud vendredi, lourd après-midi qui anesthésierait un boeuf et fige le temps dans la pénombre d’une salle de classe. Ce temps même qui pousse votre oreille à écouter, dans votre dos, la discussion blasée chuchotée par les cancres du dernier rang plutôt que le discours monotone caractéristique du prof harassé par la chaleur. Par Simon Lambert
Les paupières mi-closes, je me laissais dériver avec la discussion des cancres, radeau de fortune dans une mer d’ennui. Tout à coup, le radeau tangue, craque ; les cancres se gondolaient. Entre deux ricanements, j’entendis un seau d’eau glacé qui me fit l’effet de propos homophobes (la preuve, j’en perds mes mots). Je vous les rapporte ici, sans exagération ni précision absolue, mais dans les grandes lignes (et en modifiant le nom).
“He regarde ! Antoine se dandine ! C’est tellement un pédé ce mec ! Regarde ! Regarde ! Avec son bras là, il fait sa grande folle, haha. Vas-y Antoinepédé, t’es le plus fort ! Antoinepédé ! Antoinepédé !”
Pardon? Ça, en 2015, dans la banlieue (trop?) bien pensante de Boulogne-Billancourt, Hauts-de-Seine, France? Dans un lycée où le racisme est d’une proportion qui donne le sourire? Et ce n’est pas tout. Lorsque je me mis à gronder sévèrement mais à voix basse les méchants, le prof me demanda rhétoriquement si quelque chose n’allait pas. A ma réponse il répliqua mollement : “Ah... Oui, c’est vrai que ce n’est pas bien. Reprenons.” Deuxième pardon? Si l’article B-4 (Principe de laïcité et discrimination) du chapitre Droits et obligations de notre règlement intérieur ne précise rien au propos de l’orientation sexuelle, il me semble évident que ce genre de comportement doit être pour le moins blâmé, quand il est explicitement écrit qu’un élève peut se retrouver face à la justice pour de tels propos quant à l’appartenance religieuse ou ethnique d’autrui. J’espère ne pas vous blesser, cher professeur, mais votre tolérance m’abasourdit et me désole. Un comble, alors que je fais la critique de l’intolérance de mes petits (d’esprit) camarades. Pour rappel, pédé est un diminutif de pédéraste, soit un homme d’âge mûr attiré par les hommes plus jeunes. Il va sans dire que de nos jours la pédérastie est plutôt mal vue. C’est un peu comme si je disais Antoinebougnoule, en fin de compte. Tiens, on pourrait faire une expérience : en combien de temps reçoit-on insultes des élèves et sanctions de l’équipe pédagogique si j’appelle mes camarades Arabes “Achrafbougnoule” et les Noirs “Raïsanégresse”? C’est ici le paradoxe de la situation : nous avons toutes les cartes en mains pour combattre le racisme, alors que l’homophobie, pffffff, rien. Ni les adultes, ni les enfants. Qui plus est, aucun lycéen censé n’irait dire qu’il est Lepeniste, pourtant notre lycée est empreint d’une sorte de doux fascisme qui classe les sexes et sexualités extrêmement durement, dans lequel aucun écart de genre n’est toléré !
La preuve par une autre anecdote : malgré l’article Droit de publication et d’affichage de la partie A du chapitre Droits et obligations du même règlement intérieur qui stipule que “les publications peuvent être librement distribuées dans le lycée, elles doivent être signées et ne pas porter atteinte aux droits d’autrui ni à l’ordre public” je me suis vu refuser l’affichage d’une affiche sans illustration avec pou simple inscription “Journée Nationale de la bisexualité. RDV place machin à telle heure” sans aucun motif. J’imagine que ça peut choquer les plus jeunes, hein, une affiche aussi explicite ! Et avec le climat actuel de montée de tous nos copains d’extrême droite, le niveau de tolérance raciale et LGBT (Lesbian-Gay-Bi-Trans community) risque de perdre encore des points. Réagissons !
Simon Lambert, Le Cancre, lycée Jacques Prévert, Boulogne-Billancourt (92)