Billet de blog 13 mai 2013

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Allo maman bobo

Petit maillon de la grande chaîne de notre nouvelle génération, je fais partie des malheureux qui ne pourront jamais se débarrasser des traces de l'ancienne. Ceux qui sont désespérément condamnés à ne pas pouvoir se plaindre, ceux qu'on a privés d'un droit inaliénable : avoir quelque chose à dire à son psy à 40 ans.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Petit maillon de la grande chaîne de notre nouvelle génération, je fais partie des malheureux qui ne pourront jamais se débarrasser des traces de l'ancienne. Ceux qui sont désespérément condamnés à ne pas pouvoir se plaindre, ceux qu'on a privés d'un droit inaliénable : avoir quelque chose à dire à son psy à 40 ans.

Je dresse le tableau : sur la petite table dans mon salon aux murs couverts d'objets ramenés des quatre coins du monde et des peintures d'un illustre inconnu, les numéro de Télérama et du Nouvel Obs s'entassent, à côté des tasses expresso, du coffret des films de Bergman et des dvd de Woody Allen. En fond sonore on peut encore entendre la voix jazzy d'Art Mengo ou de Norah Jones, tandis que le piano quart de queue au fond impose sa luxueuse présence. Mon père, médecin et hypnothérapeute à ses heures perdues, sorte d'hybride entre Edouard Bear et Pierre Palmade, aime raconter ses rêves le matin, écouter de la philo en courant, et manger « poire kiwi ». Ma mère, orthophoniste et formatrice à la « gestion mentale » à ses heures perdues, voudrait pouvoir s'acheter un spa et cette jolie maison au bord de l'eau en Bretagne, et reprendre des études. Pas besoin de rajouter les activités intellectuello-sportives de mes parents (taï-chi et yoga, what else ?) pour comprendre mon mal : mes parents sont des bobos.

Bon, j'exagère un peu. Disons des intellectuels de gauche, inévitablement et désespérément heureux. Comment ne pas l'être ? Un appartement à Vincennes (où l'on ira bien sûr au festival America chaque année), une grande maison et beau jardin en pleine campagne, des voyages divers et variés, des amis psy avec qui faire des « ciné club » à l'occasion, trois enfants tous casés, 50 albums photos de vacances multi-familles… Difficile de faire la gueule dans cette caricature, même assombrie par quelques tâches à l'occasion. 

« Pour me comprendre … » chantait Véronique Sanson, dans la voiture de ma mère il y a longtemps. Voilà, pour me comprendre, il faudrait avoir essayé de comprendre les paroles des chansons de Sanson et celles de Barbara à l'âge où l'on est censés commencer à défier un peu l'autorité parentale. Il faudrait avoir écouté Laurent Voulzy, Alain Souchon et Vincent Delerm toute son enfance, puis France Culture dans la voiture alors qu'on voudrait rester dans l'âge bête.

Je fais comment, moi, hein ? Je fiche tout en l'air, je rate mon bac, et je pars avec un junkie en Alaska ? Ça ne ferait que compléter le trop parfait tableau de la famille de bourgeois-bohèmes qu'est la mienne. Je m'invente une enfance malheureuse et des parents blasés, pour être comme tous les ados ? J'aurais du mal à cacher mon côté bisounours et ma fierté. Pas le choix, je n'ai plus qu'à me laisser couler dans ce décor moelleux, en attendant de dire à mon psy que je n'ai rien à lui dire...

 Pimp', Le P'tit Luther, Lycée Martin Luther King (77600).

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