Billet de blog 18 juin 2015

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Cambodge : un paradis… contradictoire

Le petit village de Siem Reap, au nord du Cambodge près du lac Tonle Sap, présente la face féerique d'un pays en proie à de grandes difficultés économiques et politiques. Récit de mon périple mêlé de sublimes rencontres. Par Agathe Aviotte

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Le petit village de Siem Reap, au nord du Cambodge près du lac Tonle Sap, présente la face féerique d'un pays en proie à de grandes difficultés économiques et politiques. Récit de mon périple mêlé de sublimes rencontres. Par Agathe Aviotte

Je suis réveillée par la pluie qui tombe en rafale. Il est 6 h du matin. Cela n'empêche pas les habitants de Siem Reap d'ouvrir leurs devantures de magasins. Je regarde par la fenêtre : un homme transporte sur son scooter des dizaines de noix de cocos fraîches, et évite soigneusement les flaques de boue. La lumière éclatante du soleil naissant m'aveugle. Le lever du soleil est très différent de celui sur le Bassin d’Arcachon : le rouge vermillon prédominant, le rose bonbon se mêlant au tout et le ciel bleu turquoise perçant à l'horizon.

Il faut que je me dépêche, un tuk-tuk nous attendra, mes parents et moi, devant l'hôtel à 9 h. J'opte pour une tenue légère et décontractée.

En effet, depuis la chambre je ressens déjà l'épuisante chaleur s'abattre  sur la ville. Nous descendons petit déjeuner à côté de l'hôtel. Je descends les marches gravées d'azulejos bleus et rouges quatre à quatre. Les odeurs de pain grillé, d'omelette cambodgienne et d'ananas me frôlent les narines et mettent mes papilles en éveil. Nous commandons le petit déjeuner habituel et nous apercevons notre tuk-tuk prêt à nous embarquer. Les valises sont descendues, les instructions à l'hôtel sont données et en route pour le village flottant !

Illustration 1
Lac Tonle Sap © Agathe Aviotte

Nous empruntons la route principale, et décidément je ne me ferai pas à l'absence de panneaux, de lignes blanches ou de limites de vitesse ! La peur m’envahit à chaque fois qu'une voiture nous dépasse, je ne demande alors qu'une seule chose : c'est d'arriver en vie à notre destination finale !

Nous nous dirigeons ensuite vers un chemin de terre rouge, les rizières bordent le paysage et les buffles nous font obstacle. Les enfants jouent autour des maisons de bois, et se cachent dans la végétation luxuriante. Des papillons aux multiples couleurs entament un ballet sous leur nez. La voiture s'arrête. On nous explique que c'est un péage. Notre conducteur s'acquitte de sa tâche. Les enfants les plus jeunes aperçoivent mes yeux clairs  et questionnent leurs parents sur nos physiques intrigants. C'est vrai que les européens ont rarement l'idée de séjourner dans un village flottant, et encore moins des parents accompagnés d'une adolescente ! Des hommes sont perchés sur des charpentes de bois exotique. Malgré la chaleur, ils travaillent si vite ! Nous arrivons sur un port. Des dizaines de bateaux sont amarrés.

On y trouve poissons, tissus colorés, corbeilles d'osier, eau potable en bidon et autre éléments essentiels du commerce cambodgien. On nous montre un bateau jaune, vert et rouge. Il se trouve derrière tous les autres et un peu de gymnastique et d'habileté sont nécessaires pour l'atteindre. Lentement mais sûrement, nous posons le pied sur la première marche de notre transport de fortune. Les sièges, sont des sièges d'automobile. Pas très orthodoxe en Europe, ils sont pourtant très confortables. Là-bas le gâchis n'est pas autorisé, c'est pourquoi tout est recyclé. Sièges auto compris !

Illustration 2
Tressage des jacinthes d'eau © Agathe Aviotte

L'immense barque file sur l'eau calme. Notre guide nous explique toutes les différentes espèces du lac appelé le Tonlé Sap. C'est le plus grand lac d'eau douce de l'Asie du Sud-Est. Il y a deux périodes : la période sèche et la période de la mousson. Durant la saison sèche, le lac a une superficie de 3000km2 alors que durant la saison des pluies, elle passe à 13.000km2. Le lac abrite de nombreuses espèces, en effet plus de 300 000 tonnes de poisson sont pêchées par an. Des colonies d'oiseaux asiatiques nichent dans les arbres. Ils représentent une part essentielle dans la chaîne alimentaire. De même, les serpents sont pêchés quotidiennement et servent à nourrir les crocodiles d'élevage du Tonlé Sap. En moyenne plus 5 millions de serpents sont pêchés par an. On compte environ 200 espèces de poissons, de plantes, d'oiseaux, et une trentaine de reptiles.

Mais beaucoup de menaces sont présentes, et pourraient anéantir l'équilibre du système. Le braconnage d'œufs,  la pêche illégale ou trop abondante, et la présence humaine qui perturbe l'écologie, essentiellement à cause des déchets non recyclés. Des plantes exotiques invasives telles que la jacinthe d'eau ou le mimosa géant ajoutent de nouvelles contraintes. Même si aujourd'hui, la jacinthe est  utilisée par les femmes du village à des fins commerciales : elles les colorent puis les tissent pour en faire des paniers, des tapis, des boîtes… Trop de jacinthes seraient destructrices. Aussi, le mimosa géant a une partie comestible, que les femmes font frire avec de la chapelure, mais cela reste trop invasif. Le danger le plus important reste le projet national de barrage hydraulique qui détruirait  la vie du lac.

Illustration 3
Tri du poisson © Agathe Aviotte

Beaucoup d'associations luttent contre ces menaces, et soutiennent  les habitants. L'association avec laquelle nous sommes partis place l'argent du séjour dans la protection des réserves d'oiseaux et dans le développement local : pour un revenu destiné aux habitants du lac, pour l'éducation à l'environnement (tri des déchets, identification des espèces animales…). Par exemple, elle aide à financer des jardins flottants où poussent des légumes, des panneaux solaires pour l'électricité, ou encore le maintien des écoles et des élevages de crocodiles.  Plus de 80 000 habitants sont répartis sur 170 villages flottants. Préserver cette population est devenue une priorité, d'où la création des associations.

Mais derrière ce paysage idyllique se cache corruption et misère. En effet, en 2001, la loi sur la propriété foncière permet à l'Etat et à de riches sociétés privées de se procurer les terres et les maisons des paysans à de très bas prix. Actuellement, deux millions d'hectares ont étés confisqués dans des conditions de violence extrême. En 10 ans, 400 000 cambodgien(ne)s ont ainsi perdu leur terres et/ou leur maison.  La pauvreté est facilement ressentie dans les villes : beaucoup de touristes se sentent agressés par les marchands très insistants. Le travail dans les rizières reste très pénible, très long et mal payé. Or il est un revenu principal pour beaucoup de cambodgiens. Mais pour combien de temps encore avec cette expropriation galopante ? Les accidents dans les mines sont monnaie courante. Une telle prise de risque est l'indice que la misère est omniprésente dans beaucoup de foyers cambodgiens. Ce système de corruption perdure depuis la chute des khmers rouges : en effet une oligarchie familiale (Hun-Sen) concentre tous les pouvoirs. Malgré les efforts de l'opposition politique (menée par Sam Rainsy), le système électoral reste truqué et laisse peu d'espoir d'un meilleur avenir pour les cambodgien(ne)s.

Agathe AVIOTTE, Pigeon 2 Poche, lycée Nord Bassin, Andernos (33)

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