Billet de blog 20 mars 2013

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De Villepinte à Pinteville : que du pipo

Le week-end du 2-3 Mars, je faisais partie des 6000 et quelques lycéens à passer le concours de Sciences Po Paris, et en particulier des 4500 élèves enfermés dans un des halls de Villepinte. Je faisais également partie de ces milliers d'élèves ayant déboursé des milliers d'euros pour des prépas privées hors de prix, en plus des 140 euros de frais d'inscription. Voilà, comme ça, c'est clair : on sait tous désormais que Sciences Po Paris, c'est avant tout une histoire de chiffres.

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Le week-end du 2-3 Mars, je faisais partie des 6000 et quelques lycéens à passer le concours de Sciences Po Paris, et en particulier des 4500 élèves enfermés dans un des halls de Villepinte. Je faisais également partie de ces milliers d'élèves ayant déboursé des milliers d'euros pour des prépas privées hors de prix, en plus des 140 euros de frais d'inscription. Voilà, comme ça, c'est clair : on sait tous désormais que Sciences Po Paris, c'est avant tout une histoire de chiffres.

Avec ces chiffres en tête, et ceux du rapport de la cour des comptes sous les yeux, facile de cracher sur l'école qui forme et formate nos élites et qui s'attire déjà si facilement les critiques depuis quelques mois. Trop facile … Il reste que nous étions une fois encore plus de 6000 à vouloir l'intégrer, et, parmi ces 6000, des milliers à avoir mené une double-vie pendant une partie de l'année pour tenter d'arriver au moins jusqu'aux oraux. Il faut donc bien que SciencesPo Paris ait conservé un peu de sexitude pour que tout ce joli monde mette tant d'énergie pour y entrer, et surtout tant d'argent, qui sera déjà bien largement dépensé si admission...

Pourtant, dès lors que nous nous somme lancés dans la quête du graal (il y a un an pour les gens normaux, deux pour les warriors, plus pour les illuminés), tout a été fait en vue de nous en dégoûter. À commencer par l'annonce, dans le courant de l'année dernière, que le concours aurait lieu non plus à la fin de l'année, mais en mars. On réalise à peine l'ampleur de ce dans quoi on s'est lancés que le compte à rebours à déjà commencé... Sans compter qu'après avoir été les cobayes de la réforme des lycées, on est bel et bien les cobayes de la réforme de SciencesPo. On apprendra donc mi-aout que les épreuves d'histoire et d'option (mathématiques, SES ou littérature) porteront sur le programme de première. Commence alors une période de flou artistique quant à la méthode à suivre pour faire rentrer tout ça dans nos cerveaux, quant aux ouvrages sur lesquels s'appuyer (faut-il jeter le mythique Berstein & Milza dans un coin ?), quant aux limites à se fixer.

En décembre, nouveau coup de théâtre : l'oral de langue qui devait s'ajouter à l'entretien si admissibilité est finalement supprimé. Bonne nouvelle pour les individus lambdas, mauvaise pour les bilingues, mais surtout montée d'angoisse pour tout le monde devant cet incessant changement des règles du jeu en cours de route. Comment réviser sainement quand du jour au lendemain, les conditions du concours peuvent-être modifiées ?

En bons moutons, on encaisse les coups, parce que la réforme du concours instaurée par Richard Descoings comporte un nouvel élément qui nourrit les espoirs de tout le monde. En effet depuis cette année, le dossier (notes aux épreuves anticipées, bulletins depuis la seconde, lettre de motivation) compte pour moitié dans l'admissibilité et peut exonérer certains candidats des épreuves écrites. En d'autres termes il ne s'agit plus seulement d'être excellent : il faut désormais faire transparaître une véritable personnalité au travers de son parcours scolaire et extra-scolaire. Assurer sur tous les plans, ou compenser quelques faiblesses par un très fort investissement ou un profil original... Mais les espoirs s'évanouissent pour beaucoup lorsque SciencesPo publie en Février une liste de 640 candidats exemptés des épreuves écrites à partir de ce fameux dossier. Comme d'habitude, on ne sait plus quels sont les critères et on cherche en vain un peu de transparence dans cette grande machine dont le fonctionnement est toujours plus obscur.

Et puis, quelques semaines de révisions angoissées plus tard, vient le jour-J vient achever notre dignité. Au delà du stress, c'est finalement l'absurdité comique de la situation qui l'emporte. Parce qu'en plus de générer un certain relativisme (après 9h de concours dans un hangar, le bac devient une vaste blague), l'expérience du concours permet une analyse sociologique assez poussée. L'oeil attentif aura ainsi remarqué qu'une grande majorité de ces messieurs sont des petits bruns à lunettes habillés grosso modo tous pareil, même si certain sont allés jusqu'au costume (ceux-là sont tombés dedans quand ils étaient petits...). En rentrant dans la salle d'examen (qui ressemble plus à un parking qu'à une salle en vérité), un nouvel élément entre en jeu dans l'étude comportementaliste : le parent. J'ai donc découvert qu'il existait des parentoïdes ayant décidé que leur petite merveille n'était pas assez grande pour trouver sa table toute seule ; et se sentant donc obligés de rester le nez collés à la vitre et d'agiter les bras, sûrement pour tenter une communication gestuelle à distance. Je ne sais pas s'ils sont finalement parvenus à leur fin, mais ils ont moins servi à une chose : achever de faire de nous des animaux et de Villepinte un zoo.

Certaines espèces de ces parentoïdes sont même restées là pendant que nous planchions, les mains tremblotantes, tout bien alignés et rangés que nous étions. Un spectacle mémorable faut dire, animé par une « voix off » qui semblait assez heureuse de nous annoncer qu'on ne pourrait pas bouger pendant la pause de trente minutes entre les deux épreuves du samedi, et qu'on pourrait garder nos codes barres à la fin des épreuves, « en souvenir ». De toute façon pas le temps de s'ennuyer, avec une hiérarchie aussi fascinante : la voix off commande les chefs de groupes, qui engueulent les surveillants, qui nous empêchent de partir en courant. Bref, pour une grande majorité, après le premier jour, il ne reste plus que l'impression de s'être retrouvés dans un mauvais remix de Another Brick In The Wall (Pink Floy) et une seule question : « Mais qu'est ce que je fous là ?? ».

En revanche le lendemain, après quatre heures d'histoire, un vent de liberté a soufflé sur Villepinte qui peut désormais se transformer en Pinteville pour la plupart des lycéens-zombies. Difficile d'expliquer ce qui nous motivait réellement à passer ce concours après tout ça, si ce n'est quelques tendances suicidaires et un peu de fierté. En fait on ne sait toujours pas pourquoi ça a commencé, mais on est quand même bien contents que ce soit fini...

Pimprenelle, Le P'tit Luther, Lycée Martin Luther King, 77600.

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