Le projet de loi sur le renseignement est sérieusement envisagé et retravaillé depuis avril 2014. Les événements de janvier ont accéléré le processus. Le texte a été adopté en 1ère lecture à l'Assemblée Nationale le 5 mai. En outre, « la France est l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer d’un cadre légal, cohérent et complet pour les activités de ses services de renseignement » nous informe le site internet du gouvernement. Par Elie Roesch
De nombreux éléments motivent une telle loi. En effet, mis à part quelques tentatives de « légalisation des activités des services de renseignements » depuis 2006, la première et dernière loi sur le sujet date de juillet 1991, époque à laquelle ni le web, ni le téléphone portable existaient. On comprend donc que les lois ne s'appliquent plus tout à fait à une époque comme la notre et alors que les technologies évoluent, la loi sur le renseignement vise à faire correspondre la législation à la société moderne.
Trop peu médiatisée et débattue, cette loi serait pour certains un acte non-démocratique, liberticide, et impopulaire mais pour d'autres, urgente, nécessaire et incontournable. Vous l'aurez compris, la loi sur le renseignement fait parler d'elle et divise l'opinion.
Le débat : pour ou contre ?
Pour le Gouvernement, il s'agit principalement de « protéger les français » de nombreuses menaces_: terrorisme, djihadisme, pillage industriel, criminalité organisée, prolifération des armes de destruction massive (au cas où vous oublieriez de laisser chez vous votre bombe atomique personnelle), et, (le plus ironique) l'espionnage. Tout cela sans porter atteinte aux libertés fondamentales.
Un autre enjeu important est la « détection de nouveaux profils présumés terroristes ». Grâce à la loi, les services de renseignement ne se limiteront plus seulement à la surveillance de coupables déjà soupçonnés, mais pourrons mettre sous surveillance la totalité de la population française afin de détecter des comportements suspects et donc d'identifier de nouveaux profils supposés terroristes.
Pour beaucoup, il était temps : la dernière législation sur ce sujet date de 1991. Aussi, « cette loi vise à offrir plus de garanties pour les agents qui évoluaient jusqu’ici dans un cadre juridique incertain » continue le descriptif officiel (qui voulait dire illégal). Cadre juridique incertain et/ou illégalité, peu importe, l'État cherchait une preuve d'insécurité pour faire passer la loi et l'a trouvé dans les événements de Janvier. Le gouvernement s'appuie donc sur l'insécurité liée au terrorisme pour légitimer son action qui bientôt, rendra légal la surveillance de masse. En effet, cette loi ne fait pas que de légaliser des activités déjà existantes, elle prolonge leur portée et attribue de nouveaux moyens, pour une meilleure efficacité.
Désormais, les services de renseignement détecteront l'intégralité des connexions sur Internet et sélectionneront grâce à des programmes informatiques (les fameux algorithmes), des attitudes jugées suspectes.
Cette loi a donc pour vocation de détecter de nouveaux profils terroristes potentiels. Ce qui paraît être, à première vue, une bonne idée. Seulement pour cela, c'est l'ensemble de la population qui est suspectée, et c'est ce qui est dénoncé par les opposants au projet. Notamment car ce mode d'opération rend suspect un individu quelconque qui fait des recherches pour satisfaire une curiosité. Si demain, vous décidez de faire des recherches sur l'État Islamique et ses modes opératoires, vous pouvez être mis sous surveillance. Cela représente évidemment un frein au journalisme d'investigation, ou même plus simplement la curiosité individuelle et/ou la liberté d'information et d'être informé.
De plus, les ressources confidentielles d'un journaliste d'investigation peuvent être dévoilées. Une autre limite de cette loi est l'autocensure, une telle surveillance peut dissuader l'expression de pensée critique, ou même la recherche à titre informatif.
Ensuite, on sait aujourd'hui que, par exemple, les frères Kouachi (à l'origine des attentats de Janvier) n'utilisaient pas Internet.
Enfin, « les procédures de contrôle seront allégées lorsqu’un des « bouts » de la communication sera situé à l’étranger (concrètement, un Français qui parle avec un individu situé à l’étranger). Cependant, il est parfois difficile de s’assurer qu’une communication, même passant par l’étranger, ne concerne pas deux Français » prévient un autre article du Monde. Autrement dit, si je suis terroriste et que je souhaite organiser un attentat, j'irai le préparer en Belgique pour éviter de me faire surveiller.
Mais ne vous en faites pas, pour plus de sécurité, les données recueillies sont anonymes et ne sont pas conservées, du moins c'est un argument du gouvernement. Mais comment déceler l'identité de nouveaux terroristes si les données recueillies par les boîtes noires sont anonymes ? En fait, les métadonnées (origine ou destinataire d'un message, adresse IP d'un site visité...) ne sont pas anonymes, elles sont seulement non-identifiées. C'est à dire qu'elles sont recueillies, entreposées les unes à côté des autres sur une longue liste, sans nom apparent. Mais à partir d'un adresse IP, ou d'une métadonnée quelconque on peut toujours vous retrouver. De plus, les données seront bien conservées. La durée de conservation varie selon la technique employée mais la plus longue va jusque 5 ans annonce Le Monde !
Avant la loi, pour mettre un individu sous écoute, le premier ministre validait ou non la légitimité du projet (5 critères déterminants), puis c'était le tour d'une commission (CNCIS) de donner son accord. Si tout était validé, l'écoute pouvait commencer.
La loi apporte tout d'abord de nouveaux critères, de 5, ils passent à 7 dont (prévention de la prolifération des armes de destruction massive, des atteintes à la forme républicaine des institutions, du terrorisme, les intérêts économiques, industriels et scientifiques Français entre autres). Les 7 nouveaux critères sont jugés trop larges et engloberaient des opposants politiques. Par exemple, les écologistes ont déjà été et sont parfois encore surnommés « les Khmers verts » ou même les « Djihadistes verts ». L'anarchisme est aussi remis en cause. Atteinte à la forme républicaine des institutions ?
La loi apporte ensuite une nouvelle commission (CNCTR), plus nombreuse que la précédente, mais pas plus puissante. Elle intervient toujours à posteriori (après consultation du ou des ministres). En cas de « menace imminente » (situation supposée rare), le premier ministre peut décider de court-circuiter la CNCTR et de donner son accord sans consultation de la commission. Or, depuis Charlie Hebdo, la France est en plan Vigipirate alerte attentat, au niveau menace imminente, d'où un risque que cette CNCTR soit régulièrement évitée.
Cette loi met aussi de nouveaux moyens en place, effectivement elle a pour but d'étendre les capacités des services de renseignement. Donc, une fois les procédures lancées, les services de renseignement pourront procéder à la pose de micros dans une pièce (ou sur un objet quelconque), de traqueurs GPS, de récupération de métadonnées ou même d'IMSI Catcheur (sorte de fausse antenne téléphonique). Ce dernier outil capte tous le numéros de téléphones et toutes les métadonnées de communication à proximité. C'est précisément là qu'est le tic : si, dans une manifestation quelconque, est noté la présence de personnes au comportement violent ou au comportement qui correspond à l'un des 7 critères et justifie une mise sous surveillance, c'est les données de l'ensemble de la manifestation (voire des gens qui habitent dans les rues où a lieu la manifestation!) qui sont récoltées par L'IMSI Catcheur (il n'est pas conçu pour les écoutes ciblées).
« Ce texte, fortement décrié par la société civile pour son manque de contre-pouvoir et le caractère intrusif des techniques qu’il autorise[...] rend légales certaines pratiques qui, jusqu’à présent, ne l’étaient pas_» bien que pratiquées « en toute illégalité depuis de nombreuses années » selon un article paru dans Le Monde.
Est également reproché au gouvernement une consultation trop rapide des associations de défense des libertés telle que la Quadrature du Net, Amnesty International ou encore Reporters sans frontières qui s'opposent fermement à de tels projets... Plusieurs pétitions circulent dont « Ni Pigeons, Ni Espions » et bien d'autres… « Nous refusons que disparaisse ainsi la protection des sources des journalistes, essentielle à la liberté d’informer et d’être informé. […] Nous refusons que disparaisse ainsi la difficulté pour les polices de faire intrusion dans notre vie privée », résument Katerina Ryzhakova et T. Guénolé. « Car sans cette difficulté, les libertés d'opinion et d'expression disparaissent, directement ou par autocensure » dénoncent-ils dans une pétition.
Elie Roesch, Actu en Rab#, Lycée François Rabelais, Fontenay Le Comte (85)