Le Liban est un petit pays coincé entre l’Israël, la Palestine, la Jordanie, et la Syrie, pas loin de l'Irak, de l'Iran et de l'Egypte, ce qui fait de lui le voisin de bien des conflits depuis quelques années... Pays également dans une mauvaise passe puisqu’on vient d’apprendre la démission du premier ministre Najib Mikati : point sur l’actualité libanaise en ce soir du 23 mars 2013 à partir d'un entretien avec Marie Massoud, 17 ans, franco-libanaise, installée au Liban depuis 3 ans.
C’est une démission très récente, donc, encore peu traitée par les journaux français… Tu peux nous en dire d’avantage ?
Le gouvernement libanais, formé il y a deux ans, fait face à des problèmes internes, et essaye de ne pas se mêler à des conflits externes, qui menacent déjà indirectement le pays. On lui reproche notamment sa neutralité vis-à-vis du conflit Syrien, son désintérêt face aux grèves et manifestations de plusieurs syndicats souhaitant réévaluer les salaires... C'est un gouvernement à l'image de la politique libanaise : déchiré par des conflits internes, des scandales politiques, des débats sans fins et sans issue. La démission apparaissait comme l'unique solution. Le pays est en crise, l'instabilité politique toujours d'actualité, et le gouvernement n'arrive pas à faire face aux problèmes actuels (sociaux, politiques et structurels).
Unique solution ? Vous ne craignez pas que les pays voisins (comme la Syrie qui attaque vos frontières) en profitent ?
La Syrie fait face à des tensions-telles qu'elle serait, dans l'état actuel des choses, dans l'incapacité d'attaquer un pays comme le Liban ! Quant à l'Israël, notre second voisin, les tensions sont toujours présentes, (le Liban ne reconnait toujours pas l'existence de l’Etat d'Israël) mais la situation n'est pas particulièrement alarmante, nous ne sommes pas dans une phase de violence, ou d'agressivité. Les risques d'attaque apparaissent minimes, et le Liban n'a (en théorie) pas besoin de craindre un tel conflit actuellement. Les véritables tensions pourraient naître aujourd'hui, suite a la démission du gouvernement, et non pas à cause d'une attaque extérieure.
Vous craignez des manifestations, des révoltes voire une révolution ?
Révolution est un bien grand mot ! Manifestations, révoltes, sont des termes plus appropriés. Nous risquons surtout un blocage au niveau politique (absence de Conseil des Ministres, qui pourrait entraîner le gel de toutes les décisions importantes - au niveau national comme international). Ce blocage renforcerait aussi l’instabilité au niveau de la sécurité du pays. Cette situation chaotique pourrait aussi profiter aux partis extrémistes, et à ceux qui travaillent pour étendre la guerre syrienne au Liban (même si ce n'est pas le cas pour l’instant, cela reste un risque, majeur par sa gravité potentielle). La démission du gouvernement, c'est la porte ouverte à l'instabilité et à des tensions doublées.
Les journaux titrent : « le premier ministre libanais démissionne sous la pression du Hezbollah »... En quoi sont-ils gagnants de cette démission ?
Si le premier Ministre Mikati démissionne, c'est parce qu'il y a divergence au sein du cabinet ministériel et au gouvernement. Le Hezbollah, notamment, avait énormément de ministres qui faisaient blocage au sein du gouvernement, et qui empêchaient la prise de décision. Le Ministre n'était pas particulièrement « sous pression », personne ne l'a poussé à démissionner. Mais face au Hezbollah qui s'opposait à lui, Mikati a compris que la situation était bloquée, et qu'il ne pouvait plus rien faire pour faire avancer la politique de son pays. Le Hezbollah (beaucoup de libanais le pensent !) a été aussi surpris que les autres par cette démission et doit à présent composer avec cette nouvelle donne. La notion « majorité/opposition » dans la démocratie libanaise est très volatile, et les alliances changent selon les situations. Même si le Hezbollah avait obtenu la majorité il y a deux ans, lors de la formation du gouvernement, rien ne la garantie à présent. Il faut attendre, notamment, la position du leader druse Walid Joumblat, qui faisait partie du gouvernement démissionnaire : s'il change d'alliance, la majorité devient opposition, et vice versa (situation proche de la politique italienne actuelle). Ici, les groupes de députés sont plus ou moins influents. Si les plus influents décident de changer de camps (comme Joumblat), alors tout peut basculer. Pour donner une image, c'est comme si en France, Droite et Gauche avaient une part exactement égale dans le gouvernement. Dans une telle situation, tout reposerait sur la petite poignée de centristes, qui eux seuls peuvent faire la différence. Autrement dit, on ne peut être sûre que cette démission va directement profiter au Hezbollah, même s'ils étaient majoritaires dans le précédent gouvernement.
Qu'est ce que cette démission va changer, au quotidien des libanais mais aussi internationalement, par les relations diplomatiques ou vis-à-vis des foyers proches de conflits ?
Il faut d'abord savoir une chose. Au Liban, il existe deux axes majoritaires: les pros Irano-Syriens, comme le Hezbollah, majoritairement Chiites, (qui sont alliés à la Syrie de Assad et à la Russie tout en étant opposés à l'Occident) et les pro-Occidents, majoritairement Sunnites, comme le Parti du 14 Mars qui soutiennent la révolte syrienne. Jusque là, dans le précédent gouvernement, les pro-irano-syriens étaient majoritaires, et le parti du 14 Mars faisait partie de l'opposition. Maintenant que le gouvernement a démissionné, et que (comme je l'ai expliqué) n'importe quel basculement est possible, on peut envisager deux situations différentes pour l'avenir du pays : Dans un premier cas (le plus optimiste), on peut espérer la création d'un nouveau gouvernement unifié ou tous les partis et tous les intérêts seraient représentés. Ce serait une bonne nouvelle au niveau national, comme international, car cela permettrait éventuellement de palier aux possibles débordements du conflit syrien. Dans le second cas, l'un ou l'autre des deux axes devient majoritaire. Et là encore, on ferait face à une coalition politique, un enlisement, un blocage et une instabilité avec le risque, cette fois, de débordements importants et de tensions intenses… En attendant, les ministres continuent de s'occuper des affaires courantes de l'État. On espère trouver une réponse à cette situation le plus rapidement possible.
Donc pour le moment, on attend qu'un nouveau premier ministre soit nommé et on croise les doigts pour un gouvernement bi-polaire politiquement ?
On attend les prochaines élections législatives, l'intervention et la décision du Président Sleiman (pour le choix du Premier Ministre). Et oui, on croise les doigts pour un gouvernement unifié, capable de maintenir ordre et sécurité, tant au sein du pays qu’à ses frontières !
Propos recueillis par Emmanuelle Vulin, Rom'ue Méninge, Lycée Saint Romain en Gal (69).