Noir Désir, un groupe exceptionnel, quatre hommes adeptes des cadavers exquis, trente années d’une carrière engagée contre le fascisme et le capitalisme, l’incarnation du rock français. Voici certainement la meilleure manière de résumer ce groupe atypique et éclectique. Parler de Noir Désir représente un défi. Comment réussir à choisir un seul album de leur discographie lorsque l’on connaît leur évolution et leur renouvellement constants ? Lequel prendre ? Tostaky, réédité en décembre ? Un best-of ? Leur compil live ? Mais alors que faire des deux titres publiés peu avant la rupture ? Autant parler de l’œuvre dans toute sa grandeur non ?
Noir Déz sort son premier album en 1987, auquel se succéderont 8 albums dont un live ainsi qu’une compil live publiée en 2005 avant de connaître l’édition d’un best of l’an dernier. Qu’avons-nous retenu de tous ces albums si différents et pourtant si semblables ? Semblables en effet car ils possèdent tous cette même hargne révolutionnaire, sombre au possible, ancrée dans un désespoir constant. Cette frénésie ne fait que s’amplifier au fil de l’évolution du groupe, et le lancinant et hésitant « Toujours être ailleurs » laissera place une décennie plus tard à l’agressive « Tostaky » mêlant ardeur du chant, agressivité des guitares, puissance des percussions, enchaînement brutal des riffs et refrain inoubliable. En autre refrain inimitable on retient bien entendu « L’Homme pressé », dénonçant le capitalisme. D’un style plus adouci « Un Jour en France » s’attaque principalement à la haine de l’autre et au fascisme grâce à des paroles sévères mais surtout un riff séduisant et efficace. Leur premier grand tube, « Aux Sombres héros de l’amer », entré vite dans le top 50, au détriment du bon vouloir du groupe, qui se considère comme rangé parmi les groupes pour ménagères de moins de 50 ans, déclarant que leur jeu de mots ancré d’un pessimisme suicidaire n’aurait pas été compris.
Tout le monde connaît le drame de Vilnius, le fameux. Beaucoup considèrent que l’on ne devrait plus écouter ce groupe de rock garage français, sûrement le meilleur, en raison de l’homicide involontaire de Marie Trintignant par Bertrand Cantat. Ici se repose une question fondamentale concernant la société dans laquelle nous grandissons. Ne pouvons-nous aimer Noir Désir parce que l’élément fort du groupe (même s’il n’existait aucun leader) a involontairement tué la femme qu’il adorait ? En oubliant le chanteur, ne serait-ce pas injuste pour les cordes de Serge Teyssot-Gay, les battes de Denis Barthe et la basse de Jean-Paul Roy ? Que la famille Trintignant en veuille à l’homme, c’est plus que normal. La société, elle, devrait accepter son retour à son métier originel, sa réinsertion. Quiconque a pu être témoin de sa voix douce mais brisée, chaude mais désespérée et se prêtant à de nombreux styles n’a pu y rester insensible. En plus des chansons citées auxquelles on pourrait rajouter la maladive « L’Appartement » ou encore l’émotionnelle et célèbre « Le vent nous portera » (chanson sur laquelle, d’ailleurs, Manu Chao accompagne Noir Désir à la guitare), le groupe se dote de reprises toutes plus réussies les unes que les autres.
S’attaquant à de très nombreux chefs-d’œuvre, leur donnant à tous une touche nouvelle, poignante et insurpassable, Noir Désir réussit à jouer « Des Armes » avec cette impression d’appel au secours trop obscur pour être entendu ; à reprendre « Ces Gens-là » en créant une explosion de sentiments et de notes à l’apparition de Frida ; à explorer la puissance musicale de « Working Class hero ». De nombreux titres n’ont pas été cités, et la profondeur de la noirceur ambiante n’a pas pu être décrite dans sa totalité, mais c’est avec ardeur que je vous recommande de vous plonger dans les méandres d’un groupe réfléchi et passionné ; comme vous vous plongeriez pour la première fois, suite à une journée épuisante, dans une mer rafraîchissante. Vous pouvez être rassurés, c’est de la bonne.
Arthur Labarre, L'@nderground, Lycée Jean-Baptiste Say (75).