Journaliste, correspondant au Mexique et en Amérique centrale
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De la liberté d’expression au Mexique
Presque un mois après que le photojournaliste Ruben Espinosa et ses quatre collègues ont été retrouvés morts et torturés au nord de Mexico, une analyse de l'organisation britannique Open democracy met le doigt sur une contradiction frappante : le Mexique reste un « assez bon élève » des droits de l’homme pour nombre d’ONG influentes et de gouvernements occidentaux.
Les lois progressistes en matière de droits de l’homme peinent à cacher la brutale réalité mexicaine. Presque un mois après que le photojournaliste Ruben Espinosa et ses quatre collègues ont été retrouvés morts et torturés au nord de Mexico, une analyse remarquée du site britannique d'information et de débat Open democracy met le doigt sur une contradiction frappante : le Mexique reste un « assez bon élève » des droits de l’homme pour nombre d’ONG influentes et de gouvernements occidentaux.
L’ONG américaine Freedom House, notamment, qualifie le Mexique de pays « partiellement libre », ce qui lui donne une meilleure image que de nombreux pays « non libres » (Russie, Chine, Iran...). Pour le site britannique, le décalage entre les lois mexicaines et leur application, entre l’attitude diplomatique de l’Etat mexicain et sa réalité interne échappe aux acteurs qui ne regardent que la position officielle du gouvernement fédéral. Exemple récent : le ministre des Affaires étrangères néerlandais Bert Koenders qui, en visite à Mexico en mai dernier, a félicité le gouvernement pour ses efforts de promotion internationale des droits de l’homme... François Hollande, pour sa part, a préféré éviter le ridicule le jour de la fête nationale et n’a juste rien dit sur les droits humains en présence de son invité d’honneur du 14 juillet.
Open democracy souligne que la répression de la liberté d’expression peut prendre différentes formes : une forme légale comme en Chine, où les condamnations de dissidents s’appuient sur la loi pénale, ou une forme paralégale, en collaboration décentralisée avec la criminalité organisée et avec le consentement tacite de l’Etat central. C’est pourquoi le site d’information britannique appelle les défenseurs des droits de l’homme à revoir leur définition de la répression pour comprendre « les nouveaux moyens de répression hybride qui sévissent au Mexique ».
« La plupart des personnes qui s’aventurent dans le journalisme critique dans le contexte actuel de l’Etat de Veracruz savent ce qui les attendent : des hommes masqués frappent à votre porte, s’ensuivent menaces voire torture, viol et meurtre, puis le parquet local fait une déclaration dans laquelle il tend à écarter l’hypothèse d’un assassinat politique. En d’autres termes, la victime était juste au mauvais endroit et au mauvais moment », précise Jos Bartman, auteur de l’article. « Il est clair que les assassinats de journalistes et d’activistes de Veracruz ces dernières années, y compris ceux qui sont intervenus avant la mort d’Espinosa, répondent à des motifs politiques. Des organisations réputées telles qu’Amnesty International et Article 19 le reconnaissent. Et pourtant, les décideurs et les commentateurs de par le monde continuent à fournir une interprétation erronée de cette répression », conclue-t-il.
Un bilan de droits de l’homme surestimé
Selon Jos Bartman, cette interprétation formaliste de la législation et des engagements internationaux du Mexique – qui sont effectivement très protecteurs des droits civils et politiques – entraîne une surestimation du bilan de droits de l’homme de la plus vieille démocratie d’Amérique latine. Léger rappel : à onze mois de la tragédie d’Iguala, on ne sait toujours pas officiellement si les 43 étudiants de l’école rurale d’Ayotzinapa sont vivants ou morts, les autorités gardent le silence, ils ont juste disparu. Dans un régime officiellement autoritaire, peut-être auraient-ils au moins eu droit à un procès.