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Billet de blog 5 septembre 2019

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D'une discrimination silencieuse vers des réponses raisonnables

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Si on examine l'accès aux soins des sourds : la confidentialité peu respectée, le consentement qui n'est pas véritablement « éclairé », des informations hors de portée, des traitements retardés ou inaccessibles en raison des difficultés de communication, ont pour conséquence significative que les populations sourdes ont un niveau de soins inférieur à la population générale. Ce constat illustre parfaitement la définition juridique de la discrimination, à savoir une différence de traitement entre des personnes ou des groupes placés dans une situation comparable sur la base d’un critère illégal entraînant un désavantage pour cette personne ou ce groupe. Dans la liste des critères prohibés, au côté de situations d’inégalité liées à l’origine, au sexe, au handicap, à l’orientation sexuelle, à la précarité sociale, etc... le Code pénal ( Article 225-1 et suivants ) définit – la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français ».




La discrimination est une notion complexe qui relève à la fois d’un cadre juridique mais aussi de processus psycho-sociaux et sociétaux. La rareté de filières d'enseignements en langue des signes continue à mettre de côté des milliers d'enfants sourds à l'encontre des discours officiels. Dans le domaine des soins les discriminations vécues par les sourds sont silencieuses au milieu du brouhaha des routines professionnelles et des fonctionnements institutionnels. L'éthique semble se dissoudre dans l'absence de compréhension réciproque entre les soignants et les sourds. Il existe un remède efficace : l'utilisation professionnelle de la langue des signes. Cela permet d’identifier collectivement les dysfonctionnements et de faire vivre concrètement les notions d’égalité et de droit à la santé. Des professionnels sourds et entendants mènent des pratiques novatrices dans une quinzaine de pays ( lire Médecine en langue des signes 5 euros sur Amazon) Ils conjuguent étroitement le droit aux soins avec le droit à la langue. La revendication de consulter en langue des signes affirme l'importance du choix de la langue par laquelle on accède aux soins. Ce plaidoyer vital pour les sourds ouvre une porte pour de nombreuses autres personnes, aujourd'hui, et n'importe lequel d'entre nous demain. Cette accessibilité linguistique est nécessaire tout au long de la vie des sourds. Pour des migrants, des minorités culturelles, elle peut l'être provisoirement ou définitivement.
Les langues des signes sont parlées par des millions de sourds dans le monde. L'affirmer c'est mettre en lumière les droits humains pertinents liés aux droits linguistiques. En juillet lors du dernier Congrès Mondial des sourds, le Professeur Fernand de Varennes, Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les questions relatives aux minorités déclare « L’interdiction de la discrimination fondée sur la langue s’applique également aux langues des signes, mais là c’est plus complexe parce que ce droit humain en droit international ne garantie pas automatiquement que toutes les langues vont être utilisée de manière identique. C’est d’ailleurs une impossibilité, mais néanmoins, là ou c’est raisonnable et justifié, et de manière proportionnelle, il est possible dans certains contextes d’effectivement invoquer avec succès ce droit humain pour revendiquer l’utilisation d’une langue des signes auprès des autorités publiques là ou les conditions sont réunies. » Donc examinons collectivement les situations de discrimination et déterminons celles qui nécessitent rapidement des réponses adaptées. En France au début des années 90 les sourds subissaient une double discrimination : ils étaient à l'écart des informations sur le sida et en même temps les sourds séropositifs refusaient de se faire soigner car ils étaient obligés de consulter avec un proche, ce qu'aucun patient entendant n'acceptait. La réponse proportionnée n'a pas été que les 200 000 médecins apprennent la langue des signes pour recevoir moins de 100 000 sourds mais d'ouvrir des lieux de soins bilingues régionaux. L'essentiel est qu'une personne en demande de soins, fatiguée, angoissée n'ait pas comme recours unique et permanent un médecin non-locuteur de sa langue. Pour la langue des signes, encore absente des soins dans plus de 180 pays dans le monde, un plaidoyer international est à développer pour que les langues des signes soient considérées comme langues à part entière dans l'éducation, les soins, dans tous les domaines.

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