Billet de blog 9 février 2024

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Damien Gautreau

Histoire, Géographie, Géopolitique, Sciences Politiques

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L'eau en Outre-mer

Les départements d'Outre-mer sont abandonnés par l’État. Ils sont derniers dans tous les classements, comme pour le PIB/habitant. Les taux de pauvreté y atteignent des records, notamment en Guyane et à Mayotte. La question de l'eau ne déroge pas à la règle et ces territoires sont confrontés à des situations préoccupantes.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La plus grande frontière terrestre de la France est avec le Brésil et c'est un fleuve qui la compose, l'Oyapock. La Guyane, recouverte à 95% par la foret amazonienne ne connaît pas de pénurie d'eau, même si l'année 2023 fut particulièrement sèche et que les criques (fleuves et rivières) atteignirent des niveaux historiquement bas. Le problème de l'eau en Guyane, c'est le mercure. Dans la plupart des cours d'eau on en trouve, parfois en grande quantité, à cause de l'orpaillage. Les rejets de mercure par les orpailleurs inquiètent et risque fort de représenter un problème majeur de santé publique dans les années et décennies à venir.
L'autre enjeu auquel il faut faire face, c'est la croissance démographique. Celle de Guyane est la plus forte de France (à l'exception de Mayotte). Si la population continue d'augmenter aussi fortement, les pouvoirs publics vont devoir mener d'importants chantiers pour approvisionner tout le monde en eau potable. D'autant que certains habitants, dans des villages reculés, ne bénéficient d'aucune installation et prennent encore leur eau au fleuve, de façon traditionnelle. Ce procédé n'est pas anodin quand on connaît les problèmes de pollution, au mercure notamment.

Plus au Nord, dans les Caraïbes, le cas de la Guadeloupe est plus préoccupant. La gestion de l'eau dans l'archipel est un désastre. Pourtant la Guadeloupe est riche en eau douce, on y trouve même une centaine de cascades et de chutes d'eau. Son nom originel (en kalina) est Karukéra ou Kalou'kahéra, qui signifie l'île aux belles eaux. Mais la situation actuelle est toute autre, les réseaux sont vieux, endommagés et mal entretenus. Ils ne fournissent pas de l'eau en continu aux habitants.

La plupart des Guadeloupéens subissent des tours d'eau, notamment dans la Riviera du Levant (Gosier, Ste Anne et St François). Les particuliers, comme les entreprises et les institutions, doivent s'équiper de citernes, comme dans un pays en développement, pour pallier les carences. De plus, l'eau distribuée n'est pas potable, il faut faire des provisions d'eau en bouteille, augmentant ainsi le fléau du plastique. Il est fréquent que les écoles ferment par manque d'eau ou parce que celle-ci est contaminée. En effet, la présence de plomb dans l'eau distribuée est fréquente à cause de la vétusté des usines de traitement et de distribution. La question de l'eau, préoccupation majeure dans l'archipel, est pourtant ignorée par l’État.

L'ancien secrétaire d’État en charge des Outre-mers a même dit sur un plateau télé qu'il suffisait de faire bouillir l'eau puis de la réfrigérer pour pouvoir la boire, comble de l'ignominie. De plus, il y a des interrogations sur la présence de résidus de chlordécone dans les nappes phréatiques alors que la Guadeloupe a connu un massif du pesticide, pourtant interdit en France, jusqu'à la fin des années 90.

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Citernes d'eau devant une école et chez un particulier en Guadeloupe © Damien Gautreau

Enfin penchons nous sur Mayotte, territoire perdu de la République, bon dernier de tous les classements. L'île de l'archipel des Comores est administrée par la France, contre l'avis de l'ONU. Pourtant, elle ne bénéficie pas d'investissements conséquents, indispensables pour rattraper le retard de développement. C'est particulièrement visible sur la question de l'eau. Alors qu'il s'agit d'une île tropicale, à la pluviométrie élevée, les coupures d'eau sont fréquentes. L'ensemble de l'année 2023 fut marquée par la crise de l'eau et les habitants connurent des tours d'eau pendant des mois. Le précieux liquide ne coulait au robinet qu'un jour sur trois officiellement, dans les faits certains habitants restèrent une semaine entière sans la moindre goutte. En cause, une sécheresse historique, une croissance démographique record (+50% en seulement 15 ans), des infrastructures insuffisantes et une absence d'anticipation. C'est surtout ces deux derniers points qu'il faut retenir.

En effet, si la situation de 2023 est dramatique, elle ne constitue pas une surprise pour autant. Déjà en 2017, le Sud de l'île fut privé d'eau durant trois mois. Les communes de Chiconi, Sada, Chirongui, Bouéni, Kani-kéli, Bandrélé, Dembéni et Ouangani connurent les tours d'eau. Là aussi, l'eau, non-potable, n'était distribuée qu'un jour sur trois. Depuis, rien na été fait, aucun travaux majeurs ne furent lancés. La retenue collinaire de Combani, les stations de pompage et celles de dessalement demeurent insuffisantes.

Les collectivités locales n'ont pas pris au sérieux le problème et l’État demeure absent. Si la gestion de l'eau est bien une compétence locale, la Dotation Globale de Fonctionnement de Mayotte est la plus faible de France. l’État doit investir davantage pour combler l'important retard de développement qui caractérise l'île. D'autant que la situation hydrique est source de tensions sur un territoire qui ressemble fort à une poudrière. La distribution de pack d'eau par les militaires n'est pas anodine, la situation est explosive. A Mayotte, comme ailleurs, l'eau est vitale et le pire est à craindre si elle vient à manquer.

Vu les importantes carences dans la gestion de l'eau en Outre-mer, certains n'hésitent pas à dire que ces territoires sont les laboratoires des futurs problèmes d'eau à l'échelle nationale. En attendant, pour les ultramarins, la problématique est bien réelle.

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