Billet de blog 6 juin 2010

Fanny Bragard

Journaliste à Mediapart

Brahim Nait-Balk : "Dans la cité, les gays doivent jouer un double jeu"

Le 17 mai a eu lieu la journée mondiale contre l'homophobie, elle avait cette année pour thème "homosexualité et religion". Avec son livre témoignage Un homo dans la cité, Brahim Nait-Balk a cherché à briser les carcans de la religion et de la tradition pour enfin faire bouger les choses, dans les cités comme ailleurs.

Fanny Bragard

Journaliste à Mediapart

Le 17 mai a eu lieu la journée mondiale contre l'homophobie, elle avait cette année pour thème "homosexualité et religion". Avec son livre témoignage Un homo dans la cité, Brahim Nait-Balk a cherché à briser les carcans de la religion et de la tradition pour enfin faire bouger les choses, dans les cités comme ailleurs.
Vous dites avoir grandi dans la honte et plus tard dans la peur, pourquoi?
J'ai grandi dans la honte parce que quand j'étais adolescent, je sentais que j'étais différent des autres. Quand j'étais jeune, pour moi l'homosexualité ne voulait rien dire mais avec le temps j'ai fini par comprendre. Quand on a des parents musulmans, l'homosexualité est complètement interdite et pas acceptée. J'avais honte d'être homosexuel à cause de ce que ma famille pouvait penser de moi et ce qu'elle pouvait percevoir. La peur qui m'obsédait , c'était qu'on découvre que j'étais gay et qu'on me voit comme quelqu'un d'anormal et que je sois rejeté par les miens. Ça a continué par la suite dans le monde du travail. Quand j'étais éducateur, je voulais que personne ne le sache. Dans l'imaginaire de certaines personnes, un éducateur homosexuel est forcément pédophile. Cet amalgame est terrible.

Pensez-vous que le comportement homophobe des jeunes dans les cités, que vous décrivez dans votre livre, est lié au poids de la religion?
Dans les cités, on est contraint de suivre ce que la religion impose, on est emprisonné dans le rôle qui a été défini pour l'homme. Il faut être comme ça et pas autrement. Pour ne pas être rejeté par son entourage ou sa famille, il ne faut pas aller à l'encontre des principes religieux. Aujourd'hui, tous ces jeunes qui pourtant sont nés en France ont hérités de la culture musulmane de leurs parents et condamnent d'emblée l'homosexualité. Si l'un d'entre eux se rend compte qu'il est attiré par des garçons, il le vit très mal. Là bas, on n'a pas le choix. On est dominés par la culture des parents, par le poids de la religion et on a l'impression qu'on ne peut pas s'en échapper. Du coup, beaucoup de jeunes adoptent un comportement homophobe pour cacher encore plus leur homosexualité qu'ils refoulent déjà. Moi même, quand j'étais jeune, je vivais mal ma différence par rapport à mes camarades. Alors, pour leur prouver que j'étais comme eux, j'allais toujours provoquer un couple d'hommes qui vivaient dans une petite maison. Pas de manière méchante, rien à voir avec ce qui se passe aujourd'hui dans les cités, mais j'allais toquer à leur porte et je me sauvais. Je parasitais leur vie pour montrer à mes camarades que je rejetais l'homosexualité. Je pense que c'est la même chose pour les jeunes qui m'agressaient dans la cité. Ils faisaient ça pour prouver à leur bande qu'ils n'étaient pas comme le pédé qu'ils étaient en train de violer. En faisant ça, c'est comme s'ils se dédouanaient d'être gays.

Comment expliquez vous que des jeunes « homophobes » puissent violer un gay, faisant par la même un acte qu'ils condamnent?
Cet acte leur fait plaisir car la plupart du temps c'est le seul moment où ils peuvent trouver une jouissance sur le plan sexuel. J'ai subi des tournantes, au même titre que des filles subissent des tournantes dans les caves. C'est le seul moment où ils peuvent avoir un contact sexuel avec un homme. Ils font ça en groupe car on ne voit pas vraiment qui est qui, c'est le groupe qui agit. Souvent quand je croisais ces personnes là individuellement, ce sont des gens qui marchaient tête baissée, ils n'ont plus cette force quand ils ne sont plus en groupe. Pour moi, ceux qui m'ont agressé sont des homosexuels refoulés. Coincés dans leur milieu, sous le poids de la religion, ils sont frustrés et en deviennent violents.

Peut-on dire que votre véritable coming out à été l'écriture de votre livre?
Ce livre a été pour moi une libération. J'avais besoin de dire les choses, j'étais remonté contre cette société. Je devais toujours me cacher, jouer un double jeu, à en devenir schizophrène de devoir toujours tromper l'œil de l'autre pour lui faire croire qu'on est comme lui. Aussi bien dans ma situation famille que professionnelle, je m'obligeais à vivre isolé, loin du regard des autres à cause du qu'en dira-t'on. J'avais besoin de m'émanciper, de sortir du mal qui m'envahissait. L'écriture pour moi ca a été une forme de psychothérapie. C'est aussi un message qui s'adresse à ma famille, mes amis, mon entourage mais aussi à ceux qui m'ont fait du mal, pour leur faire comprendre qu'en plus de faire du mal à des gens (comme ils m'en ont fait), ils s'en font aussi à eux. Ecrire, c'était pour moi verser les dernières larmes, une bonne fois pour toutes. C'était le livre ou la fin. Je ne sais pas ce que je serai aujourd'hui si je n'avais pas fait ce livre. J'avais besoin de m'exprimer et de dire enfin les choses pour me libérer. Avec le recul, j'aimerais retourner à mes vingt ans, avec ce que j'ai dans la tête aujourd'hui et tout recommencer. Heureusement, je me ressource aussi grâce à deux activités qui sont pour moi très importantes. La radio où j'ai trouvé une deuxième famille, faite d'homos et d'hétéros avec qui je peux parler et échanger librement. J'aimerais trouver cette tolérance et cette diversité dans la société. Je retrouve cette liberté avec le Paris Foot Gay que j'entraîne et qui est une équipe très diversifiée, qui accueille des joueurs de toute confession religieuse et de toute orientation sexuelle. Encore aujourd'hui, il y a des tas de jeunes homosexuels qui se font virer de chez leurs parents. C'est aussi pour eux que j'ai écrit ce livre, car j'ai le souvenir d'avoir vécu une jeunesse assez difficile dans l'isolement et le silence.

Justement, quels retours avez-vous des jeunes gays musulmans qui lisent votre livre?
Je reçois des messages de jeunes des pays arabes qui me disent que c'est vraiment une chance de pouvoir s'affirmer car chez eux, ils n'en ont pas la possibilité. Ils aimeraient vivre dans une société comme la notre. Souvent, ce sont des jeunes qui écoutent Homomicro et ils perçoivent mes émissions comme un vrai bol d'air, ça les fait rêver.
Même si aujourd'hui ça va bien, j'ai toujours le regret qu'aujourd'hui ma vie elle est avancée et je suis passé a coté de plein de choses dans la vie parce que je n'ai pas réussir à vivre épanoui, équilibré, normalement avec ma sexualité.
Il y a aussi des jeunes qui m'interpellent dans des salons du livre. J'ai souvenir à Limoges d'un groupe qui tournaient en rond autour de la table où j'étais installé. Au bout d'un moment, ils sont venus me voir. La première chose qu'ils m'ont dit c'était + Brahim, mais comment c'est possible. T'es musulman donc tu peux pas être gay +. Finalement notre échange à été constructif et intéressant car ils avaient besoin de comprendre et d'en savoir un peu plus. Je sentais que dans leurs questions, ils voulaient éclairer leur propre personne. Je les ai senti tellement intéressés que je leur ai offert mon livre. J'ai eu des tas de réactions comme ça. Il y en a aussi qui m'ont dit qu'ils ne pourraient pas se le procurer car ne il faudrait pas que quelqu'un tombe dessus chez eux.

Pourtant, le professeur indien Kuggle affirme que ce sont les pratiques sexuelles violentes, allant à l'encontre de la dignité humaine, qui sont condamnées dans le Coran, pas l'homosexualité.
Il n'y a rien dans l'islam qui interdit l'homosexualité. Ce sont les hommes qui traduisent le Coran qui disent ça. Ils disent que c'est honteux pour un homme de se faire sodomiser. C'est jouer le rôle de la femme, donc il est réduit à rien. De plus, dans les sociétés musulmanes, la reproduction est quelque chose d'important donc il faut se marier et avoir des enfants. C'est quelque chose d'omniprésent dans l'esprit des gens.Dans les pays du Maghreb, il y a aussi une homosexualité, mais elle se vit cachée. Il ne faut pas qu'on voit les homosexuels dans la société, il faut montrer que l'on est avec une femme, qu'on est en capacité d'avoir des enfants et tout tourne autour de ça. Par contre, certains ont une double vie : une femme et des enfants et s'autorisent à aller rencontrer des hommes. Dans ce cas, c'est souvent une relation très bestiale et animale. Certaines femmes sont conscientes des tromperies de leur mari et sont efforcées de fermer les yeux car elles n'ont pas le choix, sous l'emprise de l'autorité de leur époux. C'est dangereux pour les sociétés car les femmes sont considérées comme des objets et l'homme peut encore se permettre de faire ce qu'il veut.
Qu'est ce qui pourrait faire changer les choses?
Pour que les choses changent, je pense que cela doit avant tout passer par l'éducation. Il faut que les parents s'occupent un peu plus de leurs enfants, on peut élever son enfant, qu'on ait les moyens ou non. C'est un suivi continuel. Un des problèmes dans la cité c'est que c'est une vraie jungle. Les jeunes sont perdus, obligés de se prendre en charge tout seuls. Les parents ne sont pas assez présents aux côtés de leurs enfants et souvent pas assez tolérants. Il manque aussi des associations LGBT. En région parisienne, elles sont beaucoup sur Paris centre, il n'y a pas grand chose dans les cités. Les jeunes qui vivent là bas n'ont pas grand chose pour s'identifier donc tout passe par la famille, les amis, les éducateurs... Ces derniers devraient d'ailleurs aussi se montrer plus ouverts afin de pouvoir aider un jeune qui aurait des doutes son orientation sexuelle. Or, parfois, eux aussi la rejettent et continuent d'emprisonner le gamin dans les carcans de la religion. Ce n'est pas parce qu'on n'accepte pas personnellement l'homosexualité qu'on doit y faire barrage ou l'empecher chez les jeunes.