Notre système démocratique a privé la société civile de son désir de citoyenneté. Devenus spectateurs impuissants d’un jeu politique toujours plus frustrant, beaucoup de gens sont aujourd’hui fermés à toute dynamique collective. D’autres ne sont plus capables que de pulsions contestataires dangereuses et sans issue.
L’objectif essentiel de notre action est donc de soigner le sens de cette démocratie devenue malade. Il s’agit pour cela de rééduquer la citoyenneté pour faire que les individus repliés sur leur sphère privée retrouvent le goût d’agir politiquement.
C’est une tâche difficile, car elle se donne pour ambition de faire évoluer les valeurs même de la société civile. Il s’agit ni plus ni moins de transformer un consommateur passif en contributeur actif. Cela implique de donner aux gens les moyens de s’organiser et de faire l’apprentissage de la participation.
Car en effet, parler en public, débattre, apprendre des autres, tout cela ne va pas de soi.
Cela s’éduque et c’est un véritable empowerment, une « mise en capacité » des citoyens qu’il faut mettre en œuvre pour capter les énergies positives. Il ne sert à rien d’invoquer indéfiniment la responsabilité des élus. Retrouver le désir d’être citoyen, au fond, cela demande des efforts et du courage. C’est une attitude éthique qu’il faut cultiver.
Car contribuer au bien commun a le sens d’un engagement qui seul permettra de retrouver foi dans la politique.
La démocratie et le désir de participation
Les élections constituent notre seul moment de vie démocratique où les citoyens abandonnent leur pouvoir à une caste autoproclamée d’élus professionnels qui se partagent les places et cumulent les mandats. L’article 4 de la Constitution de 1958 proclame « que les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage ». Il serait sans doute plus juste de dire qu’ils le confisquent à leur profit par toutes sortes de manipulations médiatiques.
Une fois au pouvoir, les élus ne se sentent pas engagés par leurs promesses.
Leurs stratégies clientélistes à courte vue montrent qu’ils sont plus soucieux de se faire réélire que de servir l’intérêt général, ce qui nécessite d’avoir une vision de long terme qui excède de beaucoup le seul cadre des échéances électorales. En somme, les citoyens sont placés dans la position de consommateurs frustrés d’une offre politique opaque qu’ils n’ont aucun moyen de contrôler.
Alors, bien sûr, dans le contexte de crise globale que nous connaissons, le divorce entre politique et citoyens ne peut qu’être consommé. De déception en déception, le discrédit et la défiance envers notre système politique s’est installé. Et c’est une catastrophe pour notre pacte social.
Que reste-t-il aujourd’hui de l’utopie démocratique en tant que promesse de progrès, rêve d’un mieux-être collectif ? Le système représentatif présente surtout les traits d’une oligarchie figée. Beaucoup de gens n’y croient plus. Ils se sentent exclus de toute vie publique et se réfugient dans l’abstention. Mais il y a pire encore, car c’est l’attachement aux valeurs démocratiques elles-mêmes qui se perd, ouvrant la boîte de Pandore du Front national et de tous les populismes.
Des pulsions dangereuses se libèrent aujourd’hui dans l’espace politique. Il y a donc urgence à redonner du sens à notre démocratie.
Si l’on souscrit à notre analyse selon laquelle la montée inexorable du FN et de l’abstention sont avant tout les symptômes de la mauvaise santé de notre démocratie représentative, il apparaît comme tout à fait vain d’accuser les électeurs FN de n’être pas démocrates ou de culpabiliser les abstentionnistes pour leur manque de civisme ! Le « front républicain » se trompe de stratégie, la question n’est pas d’abord celle d’une menace fasciste dont il faudrait s’effrayer, mais celle du défaut de démocratie de nos institutions. C’est là-dessus qu’il faut concentrer nos efforts. Notre démocratie doit se regarder en face si elle veut recouvrer la santé. Et pour le coup, si l’on se réfère à la démocratie antique comme modèle idéal, on constate que ce qui fait le cœur de la vie démocratique à Athènes, ce n’est pas le vote, mais bien le débat citoyen. Il est donc indispensable de donner toute leur place à des espaces de dialogue, d’écoute et de propositions où chaque citoyen peut s’éprouver comme effectivement détenteur du pouvoir démocratique. Il est essentiel de redonner plus de poids à la parole citoyenne si l’on entend restaurer la confiance malmenée.
Le désir de participation est sans doute consubstantiel à la démocratie elle-même. Il témoigne du rêve qui est en chacun de nous de voir sa singularité prise en compte par le monde qui l’entoure.
François Desmazière.
"les citoyens s'engagent - Arras 2014"