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Billet de blog 12 novembre 2008

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Les Dits de Barenboïm

"A travers la musique, il est possible d'imaginer un autre modèle social, où l'utopie et l'empirisme conjuguent leur force, nous permettant de nous exprimer librement et d'entendre les préoccupations les uns des autres. Le monde du son est capable de hisser l'individu de l'inquiétude pour sa propre existence à une perception universelle de sa place parmi les autres êtres humains". C'est un utopiste, justement, qui écrit cela dans un livre que je viens à peine de lacher, époustouflée: La musique éveille le temps, par Daniel Barenboïm, publié chez Fayard.

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"A travers la musique, il est possible d'imaginer un autre modèle social, où l'utopie et l'empirisme conjuguent leur force, nous permettant de nous exprimer librement et d'entendre les préoccupations les uns des autres. Le monde du son est capable de hisser l'individu de l'inquiétude pour sa propre existence à une perception universelle de sa place parmi les autres êtres humains". C'est un utopiste, justement, qui écrit cela dans un livre que je viens à peine de lacher, époustouflée: La musique éveille le temps, par Daniel Barenboïm, publié chez Fayard.

Si, par le plus grand des hasards, vous ne connaissiez par Barenboïm, le voici sur l'aria des Variations Goldberg.

Barenboim - Bach Goldberg Variations - Aria © Umut Sağesen

Honnêtement: ça vaut bien Glenn Gould et lui, au moins, n'est pas en train de chantonner plus ou moins juste pendant qu'il joue.

C'est un pianiste donc, et un chef d'orcheste (orchestre de Paris de 1975 à 1989, de Chicago de 1991 à 2006, aujourd'hui à la Staatskapelle de Berlin et à la Scala de Milan). Mieux encore, il est le fondateur avec son "binôme" (mort) Edward Saïd, du West Eastern Divan Orchestra, une formation "mixte" israélo-palestinienne. "Dans le West Eastern Divan Orchestra, le langage métaphysique universel de la musique devient le lien que ces jeunes personnes nouent l’une avec l’autre ; c’est un langage de dialogue continu. La musique est le cadre commun –un langage abstrait de l’harmonie qui contraste avec les nombreuses autres langues parlées dans l’orchestre –qui fait qu’il est possible d’exprimer ce qu’il est difficile, voire interdit, d’exprimer en mots. Dans la musique, rien n’est indépendant. Elle exige un parfait équilibre entre intellect, émotion et tempérament. Je dirais même que si l’on parvenait à cet équilibre, les hommes et même les nations pourraient interagir plus facilement."

Et comme je le découvre dans ce livre, c'est un penseur de tout premier ordre. Comment résumer ce texte, tant il est dense. Le mieux, je crois, est de lui laisser la parole et de vous permettre de commenter:

"La musique n’est pas séparée du monde ; elle peut nous aider à nous oublier mais aussi à nous comprendre. Dans un dialogue entre deux personnes, on attend que l’autre ait fini de dire ce qu’il a à dire avant de répondre ou de commenter. En musique, deux voix dialoguent simultanément, chacune d’elle s’exprimant dans sa forme la plus pleine tout en écoutant l’autre. De là naît la possibilité d’apprendre non seulement "la" musique mais "de la" musique, un engagement qui dure toute une vie. Aux enfants, il est possible d'enseigner l’ordre et la discipline à travers le rythme. Les jeunes qui connaissent la passion pour la première fois et perdent toute notion de discipline peuvent, à travers la musique, comprendre que la passion et la discipline réussissent coexister, car même la phrase la plus fougueuse doit avoir pour base le sens de l’ordre. En définitive, la leçon qui pour l'homme est peut-être la plus difficile – apprendre à vivre avec discipline mais néanmoins avec passion, dans la liberté mais néanmoins dans l’ordre – se dégage clairement de la moindre phrase musicale."

"La musique s’adresse à toutes les facettes de l’être humain – à sa partie animale, émotive, intellectuelle et spirituelle. On pense souvent que les questions personnelles, sociales et politiques sont indépendantes les unes des autres, sans aucune influence l’une sur l’autre. La musique nous apprend que cela est objectivement impossible, vu qu’aucun des éléments n’y est indépendant. Pensée logique et émotions intuitives sont constamment obligées de coexister. En somme, la musique nous enseigne que tout est lié"

"Aujourd'hui la musique est une présence cacophonique dans les restaurants, les aéroports, dans les avions et en situations analogues, mais c’est justement cette omniprésence qui constitue l’obstacle majeur à l’intégration de la musique dans notre société. Aucune école n'aurait l'idée de supprimer de ses programmes l’étude de la langue, des mathématiques ou de l’histoire, mais l’étude de la musique qui sous de si nombreux aspects se mêle à chacun de ces domaines et peut même contribuer à une majeure compréhension, on la laisse souvent et complètement de côté."

"En musique, l’expressivité est donnée par le lien entre une note et l’autre, désigné par le terme italien de legato. Le legato est là pour empêcher qu’une note développe son moi naturel, c’est-à-dire qu’elle ne prenne trop d’importance, mettant dans l’ombre la note précédente. Chaque note doit être consciente de soi mais aussi de ses propres limites : les mêmes règles qu’on applique aux individus dans la société s’appliquent également aux notes musicales."

"Permettre aux doigts, au cœur, au cerveau, au ventre de coopérer de manière non préméditée est un grand bonheur dans la vie d’un être humain, ainsi que le fondement de la pratique musicale… "L’homme pense", dit Spinoza et cette pensée est le résultat d’un dialogue entre l’intellect, les émotions et l’intuition. C’est non seulement vrai de la pensée de chaque individu, mais de groupes de personnes et même de nations. Comme on l’a vu dans l’histoire du Moyen-Orient, l’exclusion d’une ou plusieurs parties du dialogue peut avoir des conséquences désastreuses, et même conduire au terrorisme. L’inclusion de toutes les parties dans le dialogue, que ce soit en politique internationale ou dans la conscience d’un individu, est non seulement garante de l’harmonie parfaite, mais crée les conditions nécessaires pour la coopération."

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