Pour les militants des droits de l'homme et les défenseurs du Tibet, le 7 avril est sans aucun doute un jour de fête. Le relais de la flamme olympique a Paris a été très perturbé: bien joué. Conflits entre les manifestants et les CRS, affrontements entre les Tibétains et les étudiants chinois, les images du chaos se répètent depuis à la télé et sur Internet. Un enthousiasme pour la démocratie s'est allumé. Une lutte contre la plus grande dictature du monde a réuni des milliers de sympathisants, qui, drapeau des lions de neige ou drapeau noir des menottes à la main, sont descendus lundi dans les rues, pas moins émouvants que les Tibétains. Et des députés, écharpe tricolore sur costume impeccable, beaux sourires sur visage, se sont donnés une plus grande responsabilité pour sensibiliser les gens qui "ignorent" encore la cause de l'événement. "Free Tibet" me semble devenir un slogan très branché pour les citoyens du pays des droits de l'homme. Je ne me doute pas que certains personnages profitent de l'occasion pour montrer leur existence.
Dans cette vague anti-chinoise, ou si certains veulent préciser, anti-gouvernement chinois, la vérité paraît perdre son importance. Ni le respect envers un peuple. Les militants croient qu'ils visent la dictature chinoise, mais les Chinois se sentent visés et blessés. Après les incidents de lundi, sur les sites chinois, un déferlement anti-français se répand. Répondant à l'appel français de boycotter les produits chinois, les Chinois appellent aussi à boycotter les produits héxagonaux. Sur le site Tianya, un des sites forums les plus populaires en Chine, un internaute a même énuméré les marques de luxe françaises. La plupart des internautes se disent déçus par l'attitude des Français, qui, pris d'une frénésie aveugle des droits de l'homme, ignorent l'histoire et la culture de la Chine. Les étudiants chinois à l'étranger soutiennent quant à eux fermement le gouvernement, même à la surprise de celui-ci. Ils continuent à croire qu'"on est frère et soeur des Tibétains", tandis que leurs "frères et soeurs" n'ont pas du tout envie de vivre avec eux dans une même famille.
Le nationalisme, selon les médias occidentaux, est la carte jouée par le gouvernement chinois. Mais ils ne connaissent pas les Chinois. Ce nationalisme, suscité par le danger d'une éventuelle séparation du pays et le boycott des Jeux olympiques interprété comme hostilité, provient de l'extrême sensibilité des Chinois, qui avaient connu des invasions terribles pendant les XIXe et XXe siècles. Les Occidentaux se trouvent à leur aise dans l'opposition, mais les Chinois ne s'y habituent pas encore. Les Occidentaux ont l'habitude d'écouter les critiques, les Chinois non, notamment quand il s'agit des critiques de ceux qui avaient été ses ennemis et qui l'avaient forcé à ouvrir la porte du pays à force de l'opium. Les Occidentaux, éduqués sous le systèmes de valeurs occidental, font l'épreuve d'une volonté unilatérale de promouvoir même imposer les principes de démocratie, de droits de l'homme, dans le monde entier, alors que les Chinois n'aiment pas du tout qu'on leur fasse la leçon.
Ceci dit, les mensonges des autorités chinoises sont certainement écoeurants. Mais elles continuent sa politique de propagande en diabolisant le Dalaï Lama, ce qui ne favorise pas du tout la résolution du problème. Jusqu'où on ira?
(J'aurais aimé rédiger un papier plus journalistique mais il est difficile de ne pas y inclure mes sentiments personnels. En tant que Chinoise, je ressens une grande tristesse face à ce qui s'est passé autour du Tibet. En pleine lecture de "Funérailles célestes : le destin du Tibet", un livre de M. Wang Lixiong, écrivain chinois et spécialiste du Tibet, je me souviens de ma rencontre avec Meili Xueshan, dont le mont principal est Kawakarpo, j'ai des larmes aux yeux. Je suis persuadée que cette montagne sainte pour les Tibétains a une puissance magique, qui, de l'autre bout du monde, évoque en moi une émotion inexplicable. Grande tristesse. Cette montagne sainte, elle doit être en pleurs. Je me demande si les sympathisants des droits de l'homme peuvent comprendre ce simple sentiment de préoccupation d'une Chinoise ordinaire pour son pays. Est-ce qu'ils s'intéressent vraiment à la vie des Tibétains, ou juste à la notion des droits de l'homme? Car je vois sur leur visage, une espèce de joie. )