Billet de blog 24 juin 2013

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Le dernier délire des nucléocrates

En plein débat national sur la transition énergétique, la dernière blague des promoteurs de l’industrie nucléaire vaut son pesant de cacahuètes ! Ils nous proposent rien de moins que de faire circuler, dans les radiateurs de nos chauffages domestiques, l’eau chaude produite par les centrales nucléaires.

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En plein débat national sur la transition énergétique, la dernière blague des promoteurs de l’industrie nucléaire vaut son pesant de cacahuètes ! Ils nous proposent rien de moins que de faire circuler, dans les radiateurs de nos chauffages domestiques, l’eau chaude produite par les centrales nucléaires. Si le principe d’éviter les pertes énergétiques d’où qu’elles viennent est en soit une idée louable, qui colle assez bien avec les concepts d’efficacité écologique globale et d’économie circulaire, la mise en œuvre de ce même principe relève du délire d’ingénieurs soucieux de sauver une industrie sur le déclin.

Le premier  argument qui vient s’opposer à cette proposition farfelue est celui de la sécurité. Comment imaginer que l’on puisse garantir à 100 % qu’il n’y aura jamais de fuite entre le circuit de refroidissement primaire directement exposé aux radiations atomiques et les circuits de chauffage urbain qui viendraient nous apporter le confort thermique? Rappelons ici que le circuit de refroidissement primaire met l’eau – à l’état de vapeur – au contact de la réaction nucléaire pour capter la chaleur dégagée et contenir ainsi cette réaction atomique. La chaleur de ce circuit primaire est ensuite transférée à un circuit dit secondaire dans un « échangeur » qui fait circuler, dans un enchevêtrement étroit de tuyauteries, la vapeur arrivant du réacteur nucléaire et l’eau froide venant de l’extérieur et qui va se réchauffer au contact de cette vapeur. La chaleur récupérée est effectivement importante. Elle est, la plupart du temps, perdue dans les immenses tours de refroidissement qui jouxtent les bâtiments réacteurs et qui font partie de l’identité visuelle des centrales nucléaires. Ces gros panaches de vapeur sont le signe concret de cette perte de chaleur qui représente à peu près 30% de la valeur énergétique initiale du combustible nucléaire utilisé dans la centrale. Dans quelques cas, cette eau chaude est partiellement récupérée pour alimenter des serres de production maraîchère ou, plus anecdotique, pour chauffer l’eau d’un élevage de crocodile…     

Quand on constate les incidents de micro-fuites ici ou là sur les circuits secondaires ou parfois primaires, on peut raisonnablement douter de la parfaite innocuité d’un système de chauffage qui ferait circuler dans nos radiateurs de l’eau en provenance directe de la centrale nucléaire du coin.

La deuxième précaution est directement liée au constat effectué plus haut : lequel des habitants de nos villes accepterait sans broncher que la chambre de ses enfants soit chauffée avec l’eau de la centrale nucléaire voisine ? On le sait parfaitement, l’acceptabilité du nucléaire est particulièrement fragile. Elle a été construite en répétant jusqu’à l’écœurement que les centrales nucléaires étaient parfaitement sûres… Et puis il y a eu Tchernobyl en 1986, le Blayais – en France – en 1999 où l’on a frisé l’accident majeur, les fuites du site de Marcoule dans la vallée du Rhône en 2008 et Fukushima en 2011… sans mentionner la multitude d’incidents et d’accidents recensés chaque année par l’Autorité de sûreté nucléaire. Cette acceptabilité bien fragile s’est aussi établie sur la propagande soulignant que le peu de déchets que produisaient les centrales nucléaires tiendrait dans une piscine olympique. Et puis, il a fallu ouvrir le centre de stockage de l’Aude après que celui de la Manche – qui occupe un terrain de 6 km sur 3 km : une très très grande piscine olympique – ne soit saturé… Et puis, on a découvert qu’il faudrait en plus enfouir à grande profondeur, dans la région de Bure, en Haute-Marne, la portion de ces déchets les plus dangereux qui resteront actifs pendant plusieurs dizaines de milliers d’année… Alors comment peut-on imaginer que nos concitoyens accepteront sans broncher que du jus de centrale nucléaire circule dans leur appartement ou leur maison?

Nous pourrions aussi souligner que l’eau chaude perd beaucoup de sa chaleur en circulant sur de grandes distances. Or les centrales nucléaires ont été construites loin des habitations – on se demande bien pourquoi, puisqu’elles sont si sûres que cela ! Par quel système ingénieux, nos professeurs nimbus de l’atome vont-ils rapprocher subitement les logements à chauffer des centrales atomiques pour assurer l’efficacité du réseau? 

Non, décidément l’idée n’est pas bonne. Elle sonne plus comme le dernier argument tenté pour essayer de redonner un peu d’attractivité à une industrie du passé dont les unités de production arrivent en fin de vie, et qu’il faudra bientôt remplacer. Et il y a plus simple pour chauffer nos appartements, nos maisons, nos bureaux : le soleil nous apporte chaque jour une énergie bien supérieure à nos besoins. Récupérer la chaleur du soleil, c’est simple, pas cher et sans conséquences néfastes de long terme.

Bruno Rebelle, Directeur de Transitions, Ancien dirigeant de Greenpeace, Membre du comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique

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