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Billet de blog 23 octobre 2008

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professeur agrégé et docteur en anglais retraité.

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Colorado Springs, octobre 2008, l'Amérique profonde

C'est un document à la fois authentique et étonnant que propose Marc Maron, l'envoyé spécial du Guardian sur les routes de l'Amérique profonde, pour suivre la campagne présidentielle. En ce 23 octobre, il était dans le Colorado pour observer monsieur et madame tout-le-monde venus applaudir Sarah Palin.

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C'est un document à la fois authentique et étonnant que propose Marc Maron, l'envoyé spécial du Guardian sur les routes de l'Amérique profonde, pour suivre la campagne présidentielle. En ce 23 octobre, il était dans le Colorado pour observer monsieur et madame tout-le-monde venus applaudir Sarah Palin. Pas de message idéologique, pas de programme, pas d'engagement, rien, juste la haine de l'autre, la réticence viscérale de ce qui est nouveau. La vidéo sur le lien est édifiante.

Colorado Springs, 6h 45 du matin ! Les gens se pressent et passent devant la caméra du Guardian. D'abord cette femme qui ressemble à une Jane Fonda qui ne serait pas passée chez le chirurgien esthétique et qui proclame fièrement que l'état du Colorado a été le premier à accorder le droit de vote aux femmes et qu'il est donc normal que Sarah Palin devienne vice-présidente, syllogisme un peu abrupt et réducteur, le tout sur un fond musical country concocté par le Guardian.

Puis il y ce chevelu tout droit sorti d'un remake de clip de Stills, Crosby, Nash and Young, qui affirme, comme unique profession de foi, "she is the only conservative in the race". Alors pourquoi chercher ailleurs, donc ? Il y a cette mère de famille qui nous fait le coup du plagiat sur Paul Simon, le jour du concert à Central Park, "there are ten thousand people, maybe more…". Il y a cet aimable retraité, dont la casquette semble tout droit sorti d'un restaurant Hippopotamus, qui lance calmement : "the man is a socialist!...and we do not want socialism in this country!"

Il parlait d'Obama, vous l'aviez compris, qui, donc, serait socialiste. Ce qui met en mémoire la remarque de M. Bandry, professeur des universités à Montpellier et spécialiste de civilisation américaine, lors d'une conférence, selon laquelle, dans l'Amérique profonde, Madelin serait considéré comme un gauchiste. Marc Maron explique à Suzanne Goldenberg, autre célébrité du Guardian détachée aux Etats-Unis, qu'il a l'impression d'aller assister à un match de football. Quelques calicots délirants et révélateurs : Kids love Sarah, Prolife ProPalin. Si la deuxième affirmation ne surprend pas, on est saisi d'effroi à la pensée du niveau intellectuel des premiers.

Et sous la chanson pseudo-country avec des paroles de circonstance, on distribue à tout le monde des affichettes "Country First", variante américaine de la sinistre préférence nationale du FN. Marc Maron se livre à une comparaison qui n'est pas si audacieuse que cela, en parlant de l'ambiance : "It's contagious… I imagine that's what the Germans felt…" Puis la star arrive avec sa veste rouge qui a fait la renommée de l'actrice-imitatrice Tina Fey. Comme d'habitude aucune idée, aucune initiative, simplement quelques refrains usés : "Are you ready to make John McCain the next president?" Pas si sûr que l'intéressé ait encore envie.

Puis il y a cet imposteur dans la foule, avec son affiche "Democrats for Palin", qui finit par avouer à Marc Maron qu'il n'est pas démocrate et qu'un gars lui a donné l'affiche. Le Colorado profond, ça vaut le détour ! Dans la foule et sur scène, utilisation, jusqu'à l'overdose, du cliché Joe the plumber, qui, comme chacun sait désormais, n'est pas plus plumber qu'Alain Minc n'est sympathique.

Et puis, il y a enfin ce barbu qui semble honorable et qui remet à Marc Maron un dollar sur lequel l'image de Jésus est imprimée et qui veut qu'il soit sur la monnaie américaine. Tout à l'heure avec le premier retraité on était au FN, "Country First", avec celui-là on est revenu à Vichy. Nous voulons Dieu dans nos écoles, apprenait-on aux petits français. Lui, il veut Jésus sur les dollars. Finalement ce barbu apparemment propre sur lui, à l'écouter et à le regarder, on en est à se demander si, dans une vie antérieure, il n'était pas figurant dans Easy Rider, pour tabasser et abattre les riders.

Marc Maron s'en retourne dans le van du Guardian abattu, ce qu'il a vu c'est la démonstration de la haine ordinaire. Le Colorado fait partie des swing states, c'est-à-dire des états qui ne sont pas politiquement marqués (mais néanmoins très conservateurs) et qui peuvent balancer (swing) d'un côté comme de l'autre. Pour mémoire, en 2004, sur un million de suffrages exprimés, Bush avait obtenu 52% des voix.

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