Le rugby peut avoir ceci d'énervant que, contrairement à la corrida, la bête a souvent plus de chances de l'emporter que l'homme. Et être intelligent et créatif ne paient que rarement, quand la force brute sûre d'elle-même emporte tout. Exemple avec les malheureux Argentins et Gallois, battus par l'Angleterre (13-9) et l'Afrique du Sud (17-16) pour leur entrée en compétition.
Dans deux registres différents, le XV du Poireau et les Pumas sont les derniers tenants du rugby romantique. Le Pays de Galles pratique un rugby offensif, incarné par le toujours fringant ailier Shane Williams et ses crochets insaisisssables, mais aussi par leur numéro 8 Tongien naturalisé Tobey Faletau, réincarnation athlétique du grand Colin Charvis. L'accélération permanente comme moteur de jeu, à la main mais aussi au pied, usant de redoutables chandelles sans pour autant en faire une marque de fabrique. Et le souvenir de la grande épopée des Diables rouges du grand Gareth Edwards, comme flamme à ne jamais éteindre…
Côté Argentin, ce sont les vertus du jeu d'antan qui sont mobilisées, celle de l'amateurisme, qui n'est d'ailleurs pas qu'une image. Si la majorité de l'Albiceleste joue en Europe (et surtout en France), ils ont tous connu un métier parallèle à leur début rugbystique sur les bords de la Plata, souvent dans le droit ou la médecine. Ils ont tous également quelques kilos en trop. Ses plus beaux emblèmes sont le pilier infirmier Mario Ledesma et le brillant ouvreur chirurgien Felipe Contepomi, tous deux sortis trop vite du match, l'un pour vieillesse et l'autre sur blessure. Patriotes comme personne, il n'est chez eux jamais question d'argent, mais d'amour du drapeau. Bien que capables de jouer au large comme personne, les Argentins trouvent d'abord leur motivation dans le courage. Une mêlée à nulle autre pareille (la fameuse et redoutable "Bajadita", très basse), et une réputation de truqueurs et de "grandes bouches" dont on aime à les affubler. Dans leur rouerie, les Pumas sont surtout très intelligent dans un sport où on l'est de moins en moins. Ils sont la mauvaise conscience du rugby ultra-libéral et mondialisé, dit "rugby moderne". Mais eux n'en ont que faire, tant qu'ils peuvent passez des après-midi ensemble autour d'un asado (barbecue argentin) et pleurer en chantant leur hymne (ici, lors du mondial 2007 en France)…
Tous deux défaits in extremis et contre l'esprit du jeu, Gallois et Argentins n'ont plus que leur honneur pour bomber leur torse de garants de la tradition. Face à l'Afrique du Sud et à l'Angleterre, ils se sont inclinés face à un autre courant historique de l'Ovalie. La filière bourrine, qui fait du stéréotype une règle de réussite, et de la puissance musculeuse sans un poil de graisse une hygiène de victoire. Chez les Springboks et le XV de la Rose, tout n'est que domination et démonstration de force, grands dégagements pour gagner du terrain et morgue toujours affiché en étendart. La perfide Albion a même réussi à faire dans le sublime, questions suffisance et faute de goût, en troquant son maillot immaculé (pourtant superbe) pour un maillot en tout point semblable à celui des hotes All-Blacks. L'avariée était en noir…
Et ce qui énerve, c'est que le plus souvent ce sont eux qui gagnent à la fin, ajoutant à la tragédie romantique des coupes du monde, où ce ne sont quasiment jamais ceux qui méritent le plus qui s'en sortent le mieux.
Les résumés du match:
Le bonus: Argentine, encore et toujours, avec ce documentaire (en 14 épisodes) sur l'épopée des Pumas lors du mondial 2007, où la bande au Napoléon Agustin Pichot et au Magicien Juna-Martin Hernandez avait humilié la France de Bernard Laporte et de Nicolas Sarkozy…