Jamais la presse, médias écrits, parlés, en ligne et les journalistes n’ont été si souvent mis en première ligne à la moindre occasion, particulièrement lorsquela société a quelque chose à se reprocher: il est alors tentant de confondre lesupport et le message et d’incriminer les effets d’un article ou d’une série de reportages pour faire oublier que l’actualité existait bien avant les médias du jour! qui veut tuer son chien... dit qu’il a la rage !
Ces premiers acteurs en matière d’expression représentative des faits, des propos et des idées de l’ensemble de l’humanité que sont les journalistes n’ontjamais été aussi souvent cités, utilisés, revendiqués, décriés, spoliés ou a contrario glorifiés d’une aura éphémère qu’aujourd’hui.
Ce constat est établi au moment où s’installent internet et le multimédia, sans doute l’ultime média, à moins que ce ne soit le tumulte immédiat garanti pour quelques siècles! L’humanité n’aura pourtant jamais autant joui de la possibilité de savoir aussi vite ce qui se passe sur la planète en temps réel.
Jamais, depuis qu’Albert Londres, écrivain et journaliste , pionnier français du genre en a posé l’esprit au plus haut niveau en révélant au monde au début du siècle dernier la condition des bagnards de Cayenne, le journalisme n’aura apporté en si peu de temps autant de débats contradictoires sur l’exactitude des événements relatés dans les colonnes des journaux et dans les magazines ou émissions d’information à la télévision et à la radio!
Faux charnier de Timisoara en Roumanie d’avant la chute du dictateur Ceaucescu, en1989, Croatie et chute de Vukovar à l’insu de l’Europe et du monde incrédules lors de l’éclatement de la République Yougoslave, puis Bosnie-Herzégovine et massacres de hameaux entiers par les milices croates du sinistre« HVO » lié à Franjo Tudjman, le dictateur défunt, Sarajevo et le mensonge de l’ordre de tirer prétendument venu de Paris - alors que les soldats de l’ONU savaient bien qu’ils n’avaient pas vraiment le choix entre une riposte graduée ou la mort subie et subite, programmée par leur statut alors batard...
Plus récemment, guerre contre Al - Quaida et terrorisme islamique dont les détails sur le terrain semblent devoir échapper par essence à tout compte-rendu possible au fur et à mesure, hormis ceux des faits terroristes eux-mêmes, en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, aux USA ou en Europe! Sans parler de la tragédie israëlo-palestinienne qui dure depuis la fin de la seconde guerre mondiale, au bas mot...
Jamais, depuis que ce métier a véritablement acquis ses lettres de noblesse en s’imposant non plus seulement comme le « quatrième pouvoir » - ainsi désigné dans un livre par l’ancien directeur de la rédaction du Monde André Fontaine - mais justement comme l’un des rôles citoyens les plus responsables, l’information n’aura été le lieu d’une recherche aussi poussée d’éléments de compréhension d’une réalité nécessairement plurielle et véritablement différente selon le point de vue observé.
Et jamais la Presse n’aura en fin de compte autant « dérangé » les pouvoirs de toujours et facilité le travail d’une Justice enfin considérée comme l’alliée des Droits de l’Homme, plus de deux cent ans après la Révolution Française qui en avait exprimé le texte, à présent universel et que le monde entier envie aux francophones! La question qui se pose n’est donc plus : est-il possible de considérer la formation à la pratique de l’écriture journalistique d’une façon différente de celle dont on regarde l’apprentissage du droit, de la médecine, des professions du bâtiment, de l’informatique, que sais-je encore, mais bien la suivante :
- Comment dire la réalité de l’écriture informative dite« journalistique » d'une façon simple, ni réductrice, ni tronquée, sans en exagérer le nombre des variantes stylistiques, en restant pratique et juste, sans tomber pour autant dans le piège de la sacro-sainte « objectivité » dont on sait bien, au fond, qu’elle est un leurre? A moins que d’être assumée, positivement, comme une conscience des subjectivités de chacun ?
Autrement dit, comment fait-on pour passer du stade de l’initiation à la lecture de l’actualité, phase trop souvent éludée dans les faits par les aspirants rédacteurs, à celui d’une plus grande expérience forgée au quotidien, à partir d’exemples récurrents, vécus et éprouvés durant des années de lecture, de reportages et d’écriture? Et ce, de la rédaction du fait divers de base à celle de l’enquête la plus sérieusement menée, que le cadre soit le milieu de vie ordinaire de l’auteur ou un pays étranger...
En résumé, il s’agit bien de tordre le cou à un leurre, celui de la différence entre deux ou plusieurs « journalismes »: il n’existe pas de petits ou de grands médias, dirai-je pour paraphraser le fondateur duMonde Hubert Beuve-Méry, l’une des références en la matière avec le Canard Enchaîné et les plus antiques « Gazettes » d’antan!
« En vérité, le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole », écrivait déjà Michel de Montaigne dans ses Essais ( I, chap. IX) en ajout lors de la 3e édition de1595...
La plume n’excusera jamais toutes les lâchetés que l’on peut imaginer, dès lorsqu’il faut, parfois, savoir déplaire, être capable de résister à des pressions directes ou indirectes, faire preuve de pédagogie de l’information, accepter le point de vue d’autrui sans pour autant finir par perdre peu ou prou le sien de vue! Ainsi Le Monde reviendra-t-il près de dix-neuf années plus tard sur l’affaire dite des Irlandais de Vincennes, en mars 2001, lors de la mise en examen d’un officier de gendarmerie qui avait faussé les faits - délibérement - et fait mettre sur écoute des journalistes, dont Edwy Plenel, qui allait par la suite diriger la rédaction du grand quotidien français... jusqu'à son départ précipité par les conflits alors en cours avec les leaders du moment.
Il n’y a, ici encore, sur le « réseau » en ligne comme antan sous l’encre des vieilles rotatives que de bons - ou de moins bons – rédacteurs, encore habités par quelques plus ou moins vieux réflexes professionnels assurés par des années de patients tâtonnements d’écriture, encore capables de s’étonner un peu eux-mêmes en écrivant au sujet des choses de tous les jours, et des plumes qu’on s’abstiendra de juger ici pour ne pas confondre médiocrité et sagesse comme de trop nombreux prétendants au savoir. Qui, comme chacun sait, ne s’éprouve qu’en toute modestie... N'est-ce pas Monsieur Bouton? Lisez l'article de Philippe Riès publié par Médiapart ce 28 mai 2008 et vous verrez que tout cela n'a pas pris une ride!