Billet de blog 25 octobre 2009

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meunier

Enseignant Chercheur retraité de la Freie Universität de Berlin. (Français Langue étrangère et Enseignement assisté par Ordinateur)

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Scènes de vie à l'ombre du Mur de Berlin. 1ère partie : Avant sa construction

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Scènes de vie à l’ombre du mur

1ère partie : Avant sa construction

Hier soir, j’ai franchi le mur…

Vendredi 10 novembre 1989, à7h30! Comme tous les vendredis matins, le secrétariat était vide. La secrétairen’arrivait qu’à 9 heures, et tous mes collègues évitaient d’avoir à faire coursle vendredi. Ce jour promettait d’être long comme un jour sans pain. Je jetaiun coup d’œil dans mon casier : rien de bien enthousiasmant. Jem’apprêtais à sortir lorsque mon collègue Jürgen arriva en gesticulant.

« Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Hier soir, j’aifranchi le mur !

- Quelmur ?

- Lemur ! » insista-t-il en accentuant l’article. C’est vrai. À Berlin,il y a toutes sortes de murs, mais un seul mérite le nom de « mur deBerlin ». Et c’est, de tous les murs de la ville, le plus infranchissable.Alors, excusez ma surprise.

« Tu es passé… commecela ?

- Absolument. À un endroit oùdes gens avaient pratiqué un passage à coup de pioches.

- Et les policiers del’Est ?

- Ils nous ont regardésfaire. Et comme ils ne bougeaient pas, nous sommes allés sur l’avenue Unter den Linden. Et puis, comme nousn’étions pas sûrs de pouvoir revenir sans problème, nous avons franchi le muren sens inverse.

- Incroyable, et ceux del’Est ?

- Eh bien eux aussi, ils sontpassés, mais dans le sens opposé.

- Et tu crois que ce sera encorepossible, cet après-midi ?

- Je suppose que oui. »

L’idée que Jürgen meracontait des histoires ne m’avait pas effleuré un instant. Et pourtant, il yaurait eu des raisons de croire à un immense poisson d’avril. Mais en novembre,et raconté par un type aussi sérieux que lui ! Décidément, il fallait quej’aille voir cela de mes yeux !

Mon dernier cours terminé, à13 heures, j’ai pris le métro pour aller voir. Mais ni à la station Kurfürstendamm, en plein centre deBerlin-Ouest, ni à la station Wittenbergplatz,celle où se trouve le KaDeWe, le plusgrand magasin d’Europe, il ne fut possible de sortir. Il y avait une tellemasse de gens dans la rue, quasiment tout Berlin-Ouest et tout Berlin-Est,qu’il était impossible de se frayer un chemin vers l’extérieur. Je dus remonterdans le métro et tenter ma chance de plus loin, à pied.

Effectivement, il y avait dumonde : des Wessis (Allemands de l’Ouest) regardant débarquer les Ossis(Allemands de l’Est). Des commerçants turcs avaient installé des stands pourvendre des bananes aux visiteurs venus de l’Est. En effet, ceux-ci ne connaissaientce fruit exotique que par la télévision de l’Ouest, et leur curiosité étaittelle que le prix exorbitant qui leur était demandé par ces hommes d’affaires avisésne les dissuadait pas le moins du monde.

Bizarrement, on n’avait pasde mal à reconnaître les Ossis, d’abord, au fait qu’ils regardaient de tous lescôtés, les yeux écarquillés d’enfants perdus dans un magasin de chocolat,ensuite, parce qu’ils avaient tous le même sac à provisions, et enfin parcequ’ils avaient le teint pâle, alors que leurs homologues de l’ouest avaient levisage coloré, voire bronzé.

Il régnait une atmosphère bonenfant. Les Wessis accueillaient les Ossis comme des cousins pauvres, soucieuxde les aider à découvrir le pays de cocagne. Très vite fut mis en place« l’argent de bienvenue » (Begrüßungsgeld),d’un montant de 100 DM (soit 50 €), un beau billet bleu remis à chacun, mère,père et enfants, argent qui fut vite dépensé sur place et qui donna un coup defouet au commerce local. Pour y avoir droit, les candidats devaient se rendreavec leur passeport dans une banque de l’Ouest qui leur remettait la monnaie del’Ouest après avoir dûment tamponné une page du document. On s’aperçut plus tardque certains cousins avaient collé ensemble les pages comportant les tampons etavaient tenté leur chance pour profiter d’une deuxième distribution.

Il y eut bien quelques dramesà ce propos. Certains enfants voulaient dépenser leur cadeau à leur manière,alors que les parents avaient prévu un tout autre usage. Il y eut donc maints pleurset grincements de dents.

Les magasins les plus visitésfurent bizarrement les sex-shops, signe que les fantasmes des Ossis étaienttenaces, et nécessitaient l’utilisation d’instruments introuvables chez eux.

Le plaisir du début évoluaassez vite vers un ras-le-bol général des Wessis, et la visite se transformarapidement en invasion. Trop de gens à la fois bloquaient le passage desvoitures et des piétons, les marchandises commençaient à manquer, les prix às’envoler. Il était temps que les choses rentrent dans l’ordre, et chacun chezsoi.

Bien sûr, plusieurs Wessis serendirent à l’Est, avec un résultat comparable. En effet, les visiteurs venusde l’Ouest eurent tôt fait de se rendre compte des prix ridicules du pain et dela viande, que le gouvernement de RDA maintenait artificiellement à un faibleniveau pour ne pas provoquer de révoltes. Les achats furent massifs, et leprincipe de l’offre qui diminuait face à la demande qui grandissait fitrapidement grimper les prix, et le mécontentement du petit peuple de l’Est.

Mais le 9 novembre 1989, onn’en était pas encore là. Les cousins germains (il fallait bien la faire,celle-là) étaient tout à la joie des retrouvailles, et la joie et l’émotionétaient palpables et communicatives. Il n’y avait pas besoin d’être Allemand denaissance pour ressentir qu’un peuple se retrouvait, et la dimension historiquene se révélerait que plus tard.

Mais, me direz-vous, commentavait-on pu en arriver à construire un tel mur ?

Divisés en trois ? Jamais !

Pour bien comprendre lesproblèmes posés par Berlin au bloc soviétique, il faut remonter à la Conférencede Yalta, lors de laquelle fut décidé le dépeçage de l’Allemagne.

Quand je me suis rendu en 1967dans la région de Stuttgart pour y parfaire mon allemand en travaillant dansune fabrique d’engrenages, on trouvait aussi bien dans les trains que sur lesmurs des affiches comportant une carte de l’Allemagne surmontée duslogan : Divisés en trois ? Jamais ! Quelles pouvaient bien être les trois parties en question ?

Si l’on regardait la carte deplus près, on trouvait comme parties l’Allemagne telle qu’elle existe aujourd’hui,la Silésie et la Haute-Silésie que les Soviétiques avaient prises aux Allemandspour les offrir à la Pologne, en compensation de la partie est qu’ils avaientannexée pendant la guerre, et Danzig (aujourd’hui Gdansk) et la Prusse orientale autour deKönigsberg (aujourd’hui Kaliningrad), la partie ouest étant accordée à laPologne, et la partie est étant annexée par l’URSS.

Ce simple trait de plume surla carte cachait une réalité humaine : 12 millions de réfugiés ont dûquitter leur région de naissance pour intégrer l’Allemagne de l’Est, celle del’Ouest ou encore Berlin. Certains avaient été déportés, d’autres chassés, d’autresenfin fortement encouragés à partir.

Anna Pelka, que j’ai bienconnue, avait dû quitter Oberglogau, en Haute-Silésie pour Berlin en 1946. Toute sa vie, elle a été membre d’uneassociation de Silésiens. Au début, cette association s’était donné pour but depréparer la reconquête de la Silésie. Avec le temps, l’espoir d’une reconquêtes’est estompé. Lorsque Willy Brand, alors chancelier, s’était rendu en Pologne,pour renouer le dialogue avec l’Est, les Allemands se sont mis à réfléchir surle sujet d’une éventuelle récupération des territoires annexés. Il sembla viteillusoire de vouloir arracher la Prusse orientale aux Soviétiques. Quant àvouloir récupérer la Silésie, laHaute-Silésie et Danzig, cela supposait que l’on était prêt à mettre l’Europe àfeu et à sang. Les Allemands étaient devenus foncièrement pacifistes, et à partles mouvements d’extrême droite, personne n’aurait accepté de briser leconsensus : nulle guerre ne doit plus, désormais, partir du sol allemand.

L’association a donc fini parse teinter de folklore, et s’est contentée de perpétuer les traditions, laculture et la mémoire de la Silésie.

En 1990, l’Allemagnerenonçait officiellement à récupérer les territoires perdus. Quant aux troisparties restantes, La RFA, la RDA et Berlin, elles ont été unifiées, donnantainsi raison, même si ce n’était que partiellement, auslogan « divisés en trois, jamais ! »

Les bombardiers de raisins secs

Si vous prenez la ligne demétro n °6 qui va de Alt-Mariendorf àTegel, et que vous descendiez à lastation Platz der Luftbrücke (= Placedu Pont aérien), vous vous trouverez face à un monument en béton élancé, quirappelle un peu une main faisant le doigt d’honneur, mais une main à troisdoigts quasiment parallèles, sans pouce ni petit doigt, une sorte de fourchetteà trois dents.

Si je pense à un doigtd’honneur chaque fois que j’évoque ce monument, c’est parce qu’il s’agit bienlà du symbole d’un immense défi : celui lancé par le monde libre àStaline, qui voulait étrangler Berlin.

Ce monument dédié au pontaérien de 1949 a été rebaptisé par les Berlinois, qui ont un sens aigu del’humour noir, que l’on nomme en allemand humourd’échafaud, puisque c’est celui pratiqué par les condamnés au moment d’êtreexécutés, die Hungerskralle ,c’est-à-dire les griffes de la faim,des griffes semblables à celles d’un ours, le symbole de Berlin.

Beaucoup de gens, même parmiles Allemands, ne se rendaient pas compte du problème que posait Berlin-Ouestaux Soviétiques. En effet, ce bastion de l’Ouest en plein bloc de l’Est faisaitl’effet d’une écharde dans leur chair. Située à 200 km à l’Est de la ligne de démarcation entre les deuxAllemagnes, il polluait littéralement la vie des dirigeants de l’Est. Sesradios, dont la célèbre RIAS (Rundfunkim amerikanischen Sektor = radiodans le secteur américain), ses chaines de télévision, que bon nombred’Allemand de l’Est pouvaient capter et qui leur donnaient l’image d’une presselibre, dont le discours était très différent de celui de la leur. Ne pouvantempêcher l’Ouest de diffuser des idées, les autorités de l’Est avaient étéobligées, dès mars1960, de créer une émission, der schwarze Kanal (= le canal noir), dont la dernière diffusioneut lieu le 30 octobre 1989, qui reprenait des extraits des chaines de l’Ouestpour les commenter à sa façon. Cependant, les Allemands de l’Est n’étaient pastous dupes, et savaient certainement à quoi s’en tenir.

Mais cette situation d’île del’Ouest dans un océan d’Est amenait avec elle une autre difficulté. Pour serendre de la RFA à Berlin, et inversement, il fallait traverser la RDA pendant160 à 240 km, selon l’itinéraire. Les Occidentaux étaient tenus de suivre l’undes 3 corridors lorsqu’ils se rendaient par le rail, par la route ou par lavoie des airs à Berlin ou en revenaient. Les avions eux-mêmes étaient chargésde voler plus bas et moins vite qu’ils ne l’auraient fait dans des conditionsnormales. Le premier corridor suivait la route Hambourg / Berlin, le deuxièmel’autoroute de Hanovre à Berlin, et le troisième, qui avait deuxembranchements, l’un de Francfort, l’autre de Nuremberg, qui se rencontraientavant Leipzig avant de rejoindre Berlin. Le problème principal était le contactpossible entre les voyageurs et les habitants, obligés de suivre les mêmeschemins. Quant aux avions, ils passaient en échappant à tout contrôle . Lesvoitures étaient contrôlées à l’entrée et à la sortie de la RDA. Mais lesAllemands de l’Est ne pouvaient contrôler que les papiers. Seuls lesSoviétiques avaient le droit de contrôler l’intérieur. Les policiers comptaienten outre les passagers au départ comme à l’arrivée, et les deux nombres devaientêtre identiques. S’il y avait un voyageur de plus, cela voulait dire qu’ilétait monté en route, et qu’il essayait de fuir. Il y avait donc intérêt àn’oublier personne dans le décompte à l’entrée, en particulier les enfants quidormaient au fond de la voiture. C’est ce qui est arrivé à des amis danois, quise rendaient à Berlin par le corridor de Lauenburg-Berlin. A l’entrée en RDA,le policier, assis dans sa cabine, les a comptés de sa fenêtre. Il n’avait pasvu l’enfant de 2 ans qui dormait, couché au fond de la voiture. Il leur avaitsans doute demandé avec son accent saxon s’il y avait d’autres personnes. Necomprenant rien, ils ont dû faire un geste qui fut interprété comme une réponsenégative. Il marqua donc 4 sur levisa.

A la sortie de la RDA, lepolicier les compta : 5, car l’enfant, réveillé, s’était assis près de lafenêtre. Les Danois furent priés de s’expliquer, ce qu’ils firent. Le policiervoulut entendre l’enfant parler danois. Malheureusement, celui-ci, terrorisé,ne voulut pas desserrer les dents. Il fallut attendre deux bonnes heures pourque l’enfant se décide enfin à dire deux mots dans sa langue maternelle, ce quicorroborait les dires des Danois.

Il est alors tout à faitcompréhensible que la solution la plus radicale, et donc la plus efficace, fûtde prendre Berlin-Ouest, ce qui n’était pas si simple puisque s’y trouvaientles troupes alliées occidentales. On décida donc de mettre en place le blocusde Berlin et d’attendre que la ville tombât comme un fruit mûr.

Le 24 juin 1948, lesSoviétiques décident d’étrangler Berlin et de forcer les alliés occidentaux àretirer leurs troupes en établissant le blocus de Berlin (Berliner Blockade). Pendant la nuit, les Soviétiques avaient coupéla centrale thermique de Zchornewitz, qui fournissait le courant de Berlindepuis des dizaines d’années. La ville se retrouva tout à coup dansl’obscurité. Les Alliésoccidentaux mirent alors en route un pont aérien (Luftbrücke) entre divers aéroports de la RFA et celui de Tempelhof,situé au centre de la ville. Toutes les trois minutes, un avion décollait ouatterrissait, apportant de la nourriture et toutes sortes de produitsnécessaires allant du savon à une centrale thermique à charbon en piècesdétachées qui, sous le nom de Centrale thermique Ernst Reuter (Reuter-Kraftwerk), en l’honneur du mairede l’époque, fournira du courant électrique aux 2 millions de Berlinoisjusqu’après la chute du mur. Les Berlinois, dont le sens de l’humour estproverbial, nommèrent ces avions les bombardiers de raisons secs (Rosinenbomber). Un de leurs représentants est encorevisible à Tempelhof.

Devant le manque de résultatsde leur politique, les Soviétiques levèrent le blocus le 12 mai 1949 enrouvrant les corridors à la circulation terrestre. On comprendra le sentimentde gratitude que les Berlinois ont nourri depuis à l’égard des Américains, lesprincipaux instigateurs de ce pont aérien d’une durée de près d’un an, et enparticulier à leur chef, le général Lucius D. Clay, dont une allée située dansl’ex secteur américain porte désormais le nom.

Les Berlinois, citoyens de seconde zone

Le 23 mai 1949, les troiszones occidentales furent réunies en une entité sous le nom de République Fédérale d’Allemagne sur labase de la Loi fondamentale (Grundgesetz),avec pour capitale provisoire la ville de Bonn.

Le 7 octobre de la mêmeannée, les Soviétiques répliquèrent en fondant la République DémocratiqueAllemande, avec pour capitale Berlin (Est). Les organes dirigeants étant situés dans le quartier dePankow, les Occidentaux prirent pour habitude d’appeler ce nouvel état l’Allemagne de Pankow.

Quant à Berlin-Ouest, iln’était pas formellement un Land. C’était d’abord une zone démilitarisée detout soldat allemand, à tel point que les jeunes hommes n’étaient pas soumis auservice militaire. Ensuite, les Berlinois étaient des citoyens de seconde zone.Ils avaient une carte d’identité provisoire, n’avaient pas de passeport,n’avaient pas le droit de vote pour les législatives. Ils étaient représentésau Bundestag par cinq députés nommés par la Chambre des Députés du Land Berlinet ne disposant que d’une voix consultative.

Cependant, la Loifondamentale est applicable à Berlin, même si ce sont les forces alliées quicommandent, ce qui oblige les autorités allemandes à louvoyer.

Révolte en RDA : le 17 juin 1953

La situation de l’Allemagned’après-guerre n’est pas brillante. 3 millions et demi de soldats étaienttombés au combat (210 000 pour la France), 2.760.000 civils tués (350.000 enFrance). 6,7 millions de prisonniers de guerre enEurope de l’Ouest, furent libérés entre 1945 et fin 1948, 3 millions en URSS furent retenus entre4 et 7 ans. Il a fallu en outre absorber 12 millions de réfugiés. Juste aprèsla guerre, du fait des soldats morts et des prisonniers, dont certains ne revinrent que 7 annéesaprès la fin de la guerre, on manquait cruellement d’hommes. Ce sont avant toutles femmes (Trümmerfrauen = Femmesramasseuses de gravats), armées de couffins, sacs ou paniers, qui déblayèrentles gravats provenant d’immeubles écroulés. À Berlin, on rassembla ces débrisen deux monticules d’une hauteur de plus de 100 mètres que les Allemandsappellent Berg (montagne), et qui portent respectivement le nom de Teufelsberg(Montagne du diable) et de Insulaner (îlien). Le pays, reconnaissant du travailde ces femmes, a décidé de leur accorder des décorations, de leur ériger desmonuments et de faire du 9 juillet le jour des Trümmerfrauen. En outre, celles qui ont élevé des enfants reçoiventune retraite qui est payée directement par l’argent des impôts, et non sur lescotisations retraite.

En 1953, la situation esttendue, surtout à l’Est. L’économie connaissait de graves difficultés. Lescitoyens pratiquant une religion sont persécutés : les pasteurs sontincarcérés, les élèves croyants sont privés de baccalauréat et ne peuvent doncpas faire d’études.

Lorsde sa 2e conférence, les 13 et 14 mai 53, le comité central de la SED (parti au pouvoir) décide de prendredes mesures pour redresser la situation, dont la principale est d’amener lestravailleurs à augmenter leur horaire de 10 % pour le même salaire à partir du30 juin.

Lesdirigeants soviétiques, qui sentent monter le mécontentement, demandent alors àleurs homologues de RDA de prendre des mesures pour l’assainissement de lasituation politique, en particulier :

· L’abandon del’augmentation prévue des prix et des impôts.

· La restitution de leurentreprise nationalisée aux petits commerçants et aux petits artisans.

· La libération despasteurs incarcérés par le régime.

Seulsles ouvriers n’en tirent aucun avantage. Ils sont en outre ulcérés parl’augmentation du nombre d’heures de travail. Le 16 juin est marqué par unesérie de manifestations dans les rues, de grèves dans de nombreuses usines etsur bon nombre de chantiers. Des insurgés s’emparent de 11 conseilsd’arrondissements, 14 mairies, 9 prisons et 8 commissariats.

Lapolice est dépassée par les événements. Les autorités soviétiques sont appeléesà l’aide. Celles-ci font intervenir 16 divisions (20 000 soldats), 8000policiers et de nombreux blindés. Elles procèdent à l’arrestation de 6000 personnes,dont les principaux prétendus meneurs. La révolte est ainsi rapidement jugulée.

Ondéplore, selon les chercheurs, 55 morts, plus 20 disparitions non élucidées. D’autres sources livrentd’autres chiffres : les autorités parlent de 25 victimes, des sourcesoccidentales de 507.

Lesseuls à réagir sont les Allemands de l’Ouest. Le chancelier KonradAdenauer se rend à Berlin-0uestpour rendre hommage à ces victimes. Les Alliés, qui sont en négociations avecles Soviétiques, ont peur que ceux-ci ne prennent pour prétexte ces événementspour mettre fin aux discussions. Ils s’abstiennent de toute réaction, lePremier ministre britannique va même jusqu’à reconnaître qu’il s’agit d’uneaffaire interne au camp soviétique.

Ainsi,3 ans avant les Hongrois à Budapest, 15 ans avant les Tchèques et leurprintemps de Prague, les Allemands de RDA se sont révoltés, et leur révolte aété noyée dans un bain de sang, sans provoquer de réactions notables del’opinion publique occidentale. Mais le 17 juin deviendra le jour de la fêtenationale allemande jusqu’à l’unification, et l’avenue qui mène, à l’Ouest, àla porte de Brandebourg, s’appelle « rue du 17 juin » (Straße des 17.Juni).

Le temps de la méfiance. La Zone

Aussi longtemps qu’ontgouverné des chanceliers CDU/CSU, la méfiance est de mise. L’Allemagne del’Ouest, le seul pays démocratique, se considère comme la véritable Allemagne.Elle ne reconnaît ni les frontières nouvelles nées de la guerre (« Dreigeteilt ? Niemals »), nila RDA comme Etat souverain. Les Allemands de l’Est qui le désirent peuvent serendre à l’Ouest, où ils sont considérés comme citoyen de l’Allemagne, et doncde la RFA. Il n’y a aucune relation officielle entre les deux Etats quis’ignorent. Les autorités de l’Est reconnaitraient bien l’Etat de l’Ouest, maisce dernier appelle la RDA « la zone » (die Zone), ou tout simplement« en face » (drüben).Ainsi, pour aller à Berlin, on traverse la zone (soviétique). Les Allemands del’Ouest, eux, sont considérés par l’Est comme des revanchards, dont il faut seméfier, puisqu’ils nient la situation telle qu’elle est, ils poussent à unretour au statut d’avant guerre, ce qui n’est possible que par la force, ceuxqui occupent les territoires annexés n’ayant aucune envie de lesrestituer. L’Allemagne étantconsidérée comme responsable de la guerre, ses anciens ennemis, qui ontsouffert dans leur chair, estiment qu’il n’est que justice qu’elle paye, mêmesi elle doit de dépouiller pour cela.

Ainsi, alors que lesAllemands de l’Est considèrent la frontière entre les deux Allemagnes comme unefrontière entre deux pays souverains, et que donc la RFA se trouve àl’étranger, les Allemands de l’Ouest, eux, considèrent la frontière comme uneligne de démarcation, comme celle qui séparait, pendant l’Occupation, la Franceoccupée de la France libre. Ce qui se trouvait de l’autre côté n’était doncnullement à l’étranger.

Dès 1952 fut construite uneligne de démarcation, officiellement, pour protéger les habitants de l’Est desattaques supposées de l’Ouest. Mais en réalité, elle servait à empêcher lafuite des habitants de l’Est.

Cette ligne de démarcationétant également la frontière entre deux systèmes politiques opposés, l’Occidentet le bloc soviétique, elle était certes inexistante du point de vue du droitinternational, mais bigrement solide, voire hermétique dans les faits, et on nepouvait tenter de la franchir qu’au péril de sa vie.

On trouvait en général, de laligne vers l’intérieur de la RDA :

· Une clôture de grillage électrifié et de barbelés.

· Une bande large de 10m, appelée « bande de lamort » qui était par endroit minée, ailleurs équipée de systèmes de tir sedéclenchant automatiquement en présence de fuyards, quelquefois même au passaged’animaux.

· Une bande large de 500 m comportant du barbelé, etsurveillée au moyen de miradors ou de tours de guet. Dans cette tour setrouvent 6 soldats, 3 affectés à la surveillance, les 3 autres constituant uneforce d’intervention en cas d’alerte. À certains endroits, la surveillanceétait assurée par des chiens attachés par une laisse coulissant le long d’unfil de fer

· Desfusées de couleur étaient déclenchées au passage de fuyards, la couleurpermettant aux soldats de savoir dans quel secteur avait lieu la tentative defuite. En outre, des chevaux de frise et des herses présentant des piquantsacérés anti pneus devaient empêcher le passage de fuyards motorisés.

· Une zone interdite de 5 km. En cas de travaux sur lesinstallations, ou de travaux agricoles, les travailleurs ne pouvaient pénétrerdans cette zone qu’accompagnés de soldats ou de policiers armés. Au fil dutemps, on fit partir les personnes douteuses pour ne garder que les habitantsles plus sûrs.

Mais le problème était plusdifficile à résoudre lorsqu’un cours d’eau traversait la ligne. Les rivières furent équipées d’écluseset de herses, quant à la Mer baltique, elle fut particulièrement surveillée,surtout à proximité des frontières.

Mais beaucoup d’Allemands del’Est, parmi les plus mécontents votèrent avec leurs pieds : ilsquittèrent la RDA pour se rendre en RFA. Maintenant que vous connaissez la zone de la frontière interallemande,vous vous demandez bien comment ! Mais… par Berlin, évidemment. Ilsuffisait de passer du secteur soviétique à l’un des secteurs occidentaux pourse retrouver citoyen de l’Allemagne de l’Ouest.

Les Allemands de l’Est votent avec leurs pieds

Voyons la famille Schmidt. Lepère, directeur d’école et la mère, institutrice de maternelle avaient 5enfants. A la sueur de leur front, ils avaient réussi à s’acheter près dePotsdam une maison dont le rez-de-chaussée était en pierre, et le premier étageen bois. Ils étaient très religieux, et le cercle de leurs amis comportait bonnombre de gens pratiquant une religion chrétienne, catholique ou protestante.Il y avait en particulier les deux marraines de la petite dernière, Marianne,mère de famille très catholique, et Dora, célibataire et professeur de religionprotestante.

Tous avaient des ennuis avecles autorités à cause de leurs croyances religieuses. Le pire est qu’ils avaient eu les mêmesproblèmes pour les mêmes raisons au temps du nazisme. Les enfants Schmidt, enâge d’aller au lycée, ne pouvaient pas passer le baccalauréat parce qu’ilsétaient catholiques pratiquants. La fille aînée devint secrétaire. Le plus cherdésir du fils aîné était de devenir professeur de mathématiques et de physique (on a toujours au moins 2matières, en Allemagne), et il avait le niveau pour y parvenir. Mais il dut secontenter de suivre une formation de menuisier. Déjà, le troisième enfantmenaçait de vouloir devenir enseignant.

Les parents réfléchirent :c’était trop bête ! Leurs enfants étaient aptes à faire des études, maisils ne pouvaient pas parce que la famille était croyante et pratiquante. Pourleur donner une chance de réaliser leur rêve, il fallait quitter l’Est pouraller à l’Ouest. Cela signifiait aussi qu’il allait falloir abandonner lamaison purement et simplement. Lamettre en vente aurait mis la puce à l’oreille aux autorités locales, quin’appréciaient pas la « fuite de la république » (Republikflucht).

Un jour, ils prirent doncleurs affaires, en tout cas toutes celles qu’ils pouvaient prendre avec euxsans attirer l’attention des voisins. Ils partirent le cœur lourd, sans seretourner. Ils furent accueillis à Berlin-Ouest et trouvèrent un emploi et unlogement. Ainsi, le fils aîné put entreprendre des études et devint professeurde mathématiques et de physique. Les autres enfants firent tous des études avecsuccès.

Au moment de prendre leurretraite, les parents décidèrent d’aller s’installer au sud de Cologne, pastrès loin de Bonn, dans l’Eifel, à Bad-Münstereifel. Il leur restait encore unefille en âge d’aller au lycée. Ils louèrent une maison. À la fin des années 60,ils furent, comme beaucoup de ceux qui avaient voté avec leurs pieds enquittant l’Est pour l’Ouest, ils montèrent un dossier pour être en partie dédommagésde la perte de leur maison. Attention ! On pourrait croire que l’argentvenait de la RDA. Mais pas du tout ! C’est l’Allemagne de l’Ouest qui apayé. Grâce à cette indemnité, ils ont pu acheter un terrain pas cher, étantdonné qu’il était situé à flanc de colline, avec une pente vertigineuse. Puis,en se remettant en partie au travail, en donnant des cours particuliers et enouvrant des chambres d’hôtes, ils réussirent à réunir assez d’argent pour faireconstruire une maison préfabriquée sur leur terrain, dont ils avaient vendu lamoitié à un futur propriétaire pour arrondir leur pactole.

Le père mourut au début desannées 70. Mais lors de la chute du mur de Berlin, la mère, désormaisnonagénaire, décida de récupérer la maison de Stahnsdorf. Celle-ci existaitencore. Le rez-de-chaussée avait été transformé en bibliothèque municipale, lepremier étant le logement de fonction de la bibliothécaire.

Elle put donc réintégrer sondomicile de départ… non sans avoir vendu son domicile de l’Eifel, et remboursél’indemnité qu’elle avait reçue, puisqu’en fin de compte, elle n’avait rienperdu.

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